Par Khaled TEBOURBI Beaucoup appréciée (excusez le cocorico) la journée d'étude organisée par la Snipe sur le thème des «Défis à venir de la presse écrite». A être franc, on ne s'y attendait pas trop. Sans doute était-ce le souvenir de colloques passés plutôt «brumeux», «fumeux» pour ne pas dire ennuyeux ou redondants. De cela, ce lundi 8, pas la moindre trace. Bien au contraire : on était accrocs d'emblée. Les débats surtout pétillaient d'idées. Et cela fusait de toutes parts : pour, contre, dans ce sens, dans l'autre, en accord, à rebours : un régal ! Qui plus est, grosse présence. Collègues s'entend, universitaires (bravo !) étudiants de l'Ipsi, en première ligne : percutants, incisifs. Un conseil : changeons vite d'avis à leur sujet ! Plein d'idées, oui, car comme l'a si bien souligné le Pr Hédi Mechri, le thème, à l'abord, paraissait un peu «circonscrit». Pas la peine de chercher loin en effet : les risques que nous encourons d'ores et déjà sont de deux sortes : le manque d'argent et la concurrence du web. L'argent manquerait en raison de la crise (bien sûr) mais encore, et c'est plus palpable, parce que le coût du papier est continuellement en hausse. Nos lecteurs, au surplus, se feraient de moins en moins nombreux. D'abord parce que l'on déserte de plus en plus la lecture.Ensuite (seconde secousse) parce que les temps ne sont plus qu'au «tchat», au «blog», au facebook, bref au journalisme électronique, à la communication horizontale, bref à la presse interactive. S'est-on arrêté là pour autant ? Oh ! que non. Les discussions, sans qu'on y ait trop poussé, ont vite débordé les thématiques courantes pour aller un peu plus loin, un peu plus au fond, par exemple (pourquoi pas ?) vers «la condition actuelle du journaliste», ses moyens présents, ses besoins futurs, surtout ses difficultés d'accès à l'information et… à la formation. Mieux : on a eu la franchise d'évoquer nos limites, d'aucuns ayant appelé d'urgence à une mise à niveau. Economisme : la panacé Ce qui nous a le plus accroché ? Paradoxalement une «idée force» pas tant à notre goût. Presque tous les communicants ont décrit un métier (par essence intellectuel, créatif) en termes seuls d'économie. L'impression était que même ici, même dans le fief de l'écriture journalistique, l'affaire est d'abord «une affaire de sous». Unanimité donc à ce propos et sur un ton si définitif que l'on s'est demandé s'il y a lieu de débattre de quoi que ce soit encore. L'économisme, pour de vrai, devient comme la panacée de tout le monde. Dans l'économie même, on eût compris, mais jusque dans les arts, la culture, jusque dans le journalisme, n'est-ce pas forcer un peu la dose ? N'est-ce pas dévier (à dessein ?) le propos ? Un moment, dans le débat, il a été question de tradition journalistique : la francophone (la nôtre?) plus «idéologique», et l'anglo-saxonne, plus gestionnaire. On ne contredit rien, ni personne. La crise, soit, met des entreprises en faillite, et pas les moindres de par le monde. Est-ce cependant utopie d'imaginer qu'une société décide d'organiser ses activités éducatives, culturelles, son secteur de presse, en fonction non point du gain matériel absolu, mais du souci public d'élever le niveau de ses populations ? Concrètement, répètent les économistes, c'est impossible à réaliser. Oui mais l'homo-sapiens, rappelons-nous, ne s'est-il imposé à l'Histoire qu'au concret‑? Ames et choses soumises J'en étais à la série sur Oum Kalthoum au moment où Anouar Attia me fit gentiment parvenir son dernier roman Tunisie Rhapsodie. «Heureux» contretemps. D'autres plus à même de parler de livres s'en sont chargés. Et avec quel bonheur ! Maintenant je l'avoue‑: il m'est difficile de lire un roman de Anouar Attia sans réagir à mon tour. Evidemment, autant que faire se peut. Il sait, lui, que ce n'est pas spécialement pour le livre, mais parce que, en l'occurrence, se mêlent (jusqu'à se contredire) les impressions du lecteur actuel et les nostalgies du «vieil absent». Le lecteur actuel est sous le charme de ce récit, sans doute confidentiel, personnel, au final métaphore amoureuse et «châtieuse» sur la Tunisie, notre douce et insaisissable Tunisie. Sous le charme surtout d'une écriture qui harcèle les âmes et les choses jusqu'à les soumettre aux mots. Il y a du Proust en Anouar Attia : cette foi invincible dans le triomphe de la littérature sur la mort. Et quelque part du Celine et du Joyce : concision, dérision, la vie à même l'écrit. Le «vieil absent», lui, s'émeut. Il sait. Car il comprend.