Par Hosni NEMSIA * Sevrés pendant plus de 50 ans de débat politique, les Tunisiens découvrent ces derniers jours une liberté d'expression sans précédent. Chaque jour, des milliers de réunions et de rencontres sont organisées pour débattre de la Tunisie de demain. Chaque Tunisien, dans le respect de ce qu'il est, essaye de contribuer et de mettre librement ces idées sur la table, souvent dans des cadres organisés sous forme de partis politiques dont le nombre pourrait dépasser 90. On ne peut que saluer cette bonne volonté et ce réveil. Néanmoins, ces initiatives et ces débats sont-ils suffisants pour permettre à un parti politique de construire une stratégie et un programme économique et social‑? L'acquisition de la culture économique était la propriété d'une minorité pour ne pas dire d'une élite. Cette culture est jugée tout particulièrement importante dans la Tunisie d'aujourd'hui où l'organisation, l'accès et la diffusion de l'information viennent de connaître un bouleversement qui a transformé radicalement le paysage médiatique. Les anciens points de repère et les comportements deviennent brutalement désuets alors que l'acquisition de nouveaux comportements demande du temps. Il en résulte des difficultés d'appréciation des réalités économiques et sociales auxquelles feront face les partis politiques pour construire leurs stratégies. Les «projets de société» qui seront proposés par les partis politiques et les discours qu'ils développent doivent prendre en considération certaines données de base décrivant la situation actuelle du pays. En effet, la Tunisie reste caractérisée par un fort taux d'analphabétisme (19,4%), le nombre d'analphabètes est estimé à 1,7 million d'individus (40% d'entre eux sont âgés de moins de 50 ans), la proportion de Tunisiens diplômés de l'enseignement supérieur est d'environ 10% seulement. Le nombre d'élèves et d'étudiants dépasse légèrement un million, et 62 mille diplômés sortent annuellement des établissements de l'enseignement supérieur. Les chômeurs au nombre de 550 mille parmi lesquels 420 mille ont un niveau secondaire/primaire ou sont analphabètes. Chaque année, 85 à 90 mille demandes additionnelles font pression sur le marché de l'emploi. La population active globale est estimée à 3,2 millions d'individus, dont 560 mille dans l'agriculture et 630 mille dans l'industrie manufacturière. Il est à remarquer que cette dernière est à moitié occupée par les manufactures textiles et de produits électriques et électroniques. Dans ces deux créneaux forts importants en termes de parts du PIB, le taux d'encadrement ne dépasse pas et ne peut dépasser les 5%, compte tenu de la nature de la valeur ajoutée qui y est développée. Mais globalement, l'ensemble de la population active est dominée par les personnes ayant un niveau primaire (40%) et secondaire (35%), les actifs ayant un niveau supérieur représentent 15% et les analphabètes 10%. Cette image se complique davantage lorsqu'on essaye d'analyser les disparités à l'échelle régionale d'indicateurs du bien-être social, où les gouvernorats de Tunis, Sousse et Monastir se caractérisent par un niveau de développement humain (IDH) élevé, proche de celui du Koweït. En contre-partie, les trois gouvernorats du Centre-Ouest se distinguent par un niveau de développement humain similaire à celui du Burkina Faso et du Bénin, la faiblesse du pouvoir d'achat et les difficultés d'accès aux services sanitaires (à Kasserine près de la moitié des accouchements se font à domicile) représentent des obstacles d'accéder à une vie décente. Rappelons que les transformations des systèmes reposent en partie sur la capacité des partis politiques à intégrer et à analyser les principaux paramètres des formes économiques existantes. La réorganisation socioéconomique ne peut s'effectuer sans tenir compte de cette réalité. * (Statisticien économiste)