Il faut faire un audit de la réalité, les programmes viendront après », déclare Abdelwahab Héni Près de la moitié des Tunisiens sont analphabètes ou du niveau d'enseignement primaire Le parti El Majd ambitionnant de jouer le rôle de laboratoire d'idées, vient de créer une Fondation des études stratégiques. La primeur de ses activités, une rencontre scientifique tenue, hier à Tunis sur le développement humain. Des indicateurs lourds de conséquences avaient été tus sous la dictature de Ben Ali. Abdelwaheb Béhi, secrétaire général du parti Al-Majd, précise que la Fondation devra servir d'interface entre le parti et les élites du pays, qui sont dans l'administration, l'université et le secteur privé. « Le pays a besoin de programmes basés sur des données scientifiques. La fondation élaborera des études stratégiques de façon ouverte et à travers le dialogue. Les programmes alternatifs se feront de façon participative et cumulative. Nous ne croyons pas aux programmes élaborés par des experts entre quatre murs », dit-il. Tout en défendant sa vision sociale et libérale, le secrétaire général espère que la fondation aidera à faire mûrir le programme du parti qui devra être basé sur des données rationnelles. Il considère que la Révolution a eu lieu pour des besoins de développement.
« La Révolution n'a pas eu lieu pour l'exclusion, la bipolarisation. Il faut faire des analyses nationales sur les causes de la Révolution. Les solutions ne se trouvent pas dans les manifestations et les manifestations parallèles. Nous préférons commencer modestement et progresser que d'emprunter le chemin inverse. Nous ne voulons pas jouer sur les sentiments. Nous préférons agir dans une action politique fondée sur la rationalité ». Sous la dictature, la transparence était absente. « Dommage, les gouvernants continuent à ignorer le citoyen et refuser de les mettre au courant des vrais indicateurs de développement. On a peur des chiffres », dit-il. Il espère qu'un climat propice au respect des indicateurs soit créé. La démocratie est à ce prix. Hosni Nemsia, expert économique international, expliquera le concept de développement humain. Durant les années soixante dix le classement des Nations se faisait sur la base du Revenu national. Ce classement plaçait les Emirats Arabes Unis au premier rang. Le développement humain intègre la santé, le savoir et le niveau de vie. « C'est un modèle de développement présenté par l'ONU, dans son premier rapport en 1990 », dit l'expert. Les trois indicateurs utilisés sont l'espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation et le pouvoir d'achat.
En Tunisie l'espérance de vie est de 74 ans. Avec son Indicateur de Développement Humain (IDH) la Tunisie a été en 2010 au 81ème rang avec le taux de 0,683. En tête du classement mondial on trouve la Norvège et le Canada. Les 20 premiers pays sont très éloignés des autres. Il est très difficile pour la Tunisie de progresser car sur les trois facteurs, deux sont structurels où les possibilités d'évolution sont lentes à savoir l'espérance de vie et le niveau d'analphabétisme. Dans l'éducation l'indicateur pour la Tunisie est 0,59. Il est de 0,60 pour le pouvoir d'achat et 0,86 pour la santé. Le déséquilibre régional connait des proportions graves. Dès l'an 2000 l'administration tunisienne avait élaboré une étude qui mettait en relief ces déséquilibres. La dictature de Ben Ali a préféré les faire passer sous silence. Les disparités régionales dans le domaine de santé sont criardes. A titre d'exemple le taux d'accouchement sous contrôle médical n'est que de 50% à Kasserine. La moitié des mères qui arrivent à terme accouchent à la maison. A Sidi Bouzid cette proportion dépasse le tiers. « Toutes les régions déshéritées souffrent de l'absence des commodités élémentaires de la vie », dit l'expert. Il ajoute que près de la moitié des Tunisiens sont soit analphabètes ou de niveau d'enseignement primaire. Parmi les analphabètes 40%, soit 700.000 ont moins de cinquante ans,. C'est-à-dire qu'ils vont rester analphabètes. Il n'y a aucune volonté pour améliorer leur situation. La pyramide des âges fait ressortir une évolution inquiétante pour les caisses sociales. Quant à la pauvreté, elle est persistance à cause de l'échec du modèle de développement. En 2000, un chapitre a été consacré au PIB par Gouvernorat. « Il a été tout simplement enlevé de l'étude sur le développement ». Les régions de l'Ouest ont un revenu inférieur au niveau national. De même le solde migratoire fait ressortir que ces régions sont en train de se vider de leurs habitants. « Le niveau de développement à Kasserine et Sidi Bouzid rappelle celui du Burkina Fasso », dit l'expert. Le taux d'alphabétisme le plus élevé est à Monastir avec 95%. Les disparités régionales ont beaucoup augmenté depuis 1995. Un nouveau modèle de développement est à repenser. « Ce ne sont pas les solutions provisoires comme l'augmentation du nombre des bénéficiaires des allocations de chantiers publics (Hadhaer) qui touchent de l'argent sans contre-partie en termes de travail, qui vont résoudre les problèmes », prévient l'expert. Abdelwaheb Hani, précise que ces indicateurs prouvent qu'il n'y a pas de solutions miracles. « Colmater les brèches ne résoudra pas le problème. Autant il faut faire un audit des comptes publics, autant il faudra auditer la réalité. Les programmes viendront après. Il ne faut pas s'engager dans le chemin inverse ».