Les événements qu'a connus la Tunisie tout au long des deux premiers mois de l'année sur fond de révolte populaire ont contribué à un décrochage important de l'activité économique qui semble affecter les perspectives de croissance pour 2011. Et toute la question est de savoir si ce retard pourra être rattrapé dans les temps ou non pour sauver ce millésime historique pour la Tunisie grâce à cette révolte de la liberté et de la dignité qui lui a fait gagner tant de crédit, de par le monde, en termes d'image. Les exportations, véritables baromètre de l'activité économique, essaient tant bien que mal à ré-atteindre leur vitesse de croisière, à l'image des industries mécaniques et électriques qui ont cru de 18% durant les deux premiers mois 2011. Il en est de même pour les produits d'équipement (+5,3%), les produits miniers et phosphatés (+26,1%) et les produits énergétiques (+8,1). En revanche, les produits agroalimentaires (1,3%) et les produits textiles (-3%) ont connu une légère décélération et semblent accuser le coup des perturbations sociales ayant marqué ce début de l'année. Au total, la progression des exportations tunisiennes a été de l'ordre de 9,3% au terme des deux premiers mois 2011. La bonne nouvelle qui ressort de ces récents chiffres de l'INS (l'Institut national de la statistique), c'est la contraction du déficit commercial qui revient, au terme des deux premiers 2011, à -871,7 MD contre -1070,3 MD à fin février 2010, les exportations s'établissant, en valeur, à 3.700 MD pour 4.571,7 MD d'importations. Ce dynamisme économique, comme attesté par ce comportement du commerce extérieur de la Tunisie, s'est accompagné par une maîtrise de l'inflation, puisque l'évolution de l'indice des prix à la consommation familiale, au terme des deux premiers mois 2011, reste continue dans les 3,2%. Plus encore, le mois de février 2011 a connu une baisse sensible de cet indice à 2,9% (en variation annuelle) contre 3,5% le mois précédent. Cette évolution contraste avec les appréhensions, exagérées de l'avis de nombre d'experts, et manifestées notamment par les agences internationales de notations financières. Bien que la plupart desdites agences avouent que les fondamentaux économiques de la Tunisie demeurent solides, elles craignent cependant un impact négatif de la situation passée dans le pays sur les perspectives économiques, les finances publiques et l'équilibre de la balance de paiement. Déjà, le Conseil d'administration de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a insisté, dans sa réunion mensuelle en date du 28 février dernier, sur l'impératif de faire preuve à court terme, du moins, davantage de vigilance vu les pressions qui pèsent désormais sur les perspectives de la croissance économique nationale pour 2011, les équilibres financiers internes et externes et les avoirs en devises, bien que ces derniers reste, à 139 jours d'importation, niveau jugé acceptable. Il s'agit donc de booster l'actuelle reprise palpable d'autant que l'accalmie de la scène politico-sociale semble durable, compte tenu de la rapidité d'action du nouveau gouvernement provisoire III qui en peu de jours a concrétisé nombre de revendications de cette révolte populaire, notamment au niveau politique et économique. D'autant que la marge de manœuvre pour un dense plan de relance semble exister. La mise en pratique de programmes de soutiens financiers aux entreprises économiques dont l'activité a été sinistrée, l'intensification de l'investissement public—en attendant le privé—dans les régions défavorisées et de création de postes d'emploi pour les jeunes diplômés, sans oublier le traitement des cas de travail précaire, autant de mesures qui devraient stimuler en définitive l'activité, à travers le renforcement de la demande intérieure. Aussi bien l'Etat—en investissant dans les infrastructures de base et en créant des emplois dans les zones défavorisées—que les opérateurs économiques privés—en abandonnant tout attentisme et toute frilosité pour investir—devront redoubler d'ingéniosité pour trouver de nouveaux relais de croissance économique. Au plan extérieur, la Tunisie dispose d'un potentiel conséquent appelé à se consolider davantage si décideurs, hommes d'affaires et autres opérateurs économiques parviennent à fructifier ce capital - sympathie dont bénéficie désormais le pays de la révolte du jasmin. Partant du principe que tout climat empreint de liberté et de démocratie est bon pour l'investissement et l'entrepreneuriat, outre l'appel à la confiance réitéré par le gouvernement provisoire III aux investisseurs étrangers et aux tour-opérateurs pour la reprise des flux touristiques vers la Tunisie, tout cela plaide pour la concrétisation des promesses formulées par nombre de partenaires économiques surtout que cette transition démocratique ne peut que gonfler les voiles de perspectives prometteuses à l'économie tunisienne à la faveur du climat de transparence et de liberté d'entreprendre favorisant la confiance des investisseurs. La récente décision de nommer aux postes diplomatiques de jeunes diplômés devrait apporter un véritable lifting à notre action diplomatique appelée à impulser une nouvelle dynamique au niveau du partenariat et de l'investissement direct étranger, notamment avec de nouveaux pays (africains, maghrébins, arables, asiatiques ou d'Amérique latine), sans toutefois négliger notre partenaire de toujours l'Europe qui continue de disposer d'opportunités d'affaires fort intéressantes. Autre volet de cette action : sans aller jusqu'à refuser le paiement de la dette (publique notamment) comme revendiqué par certaines associations, car il y a va de la crédibilité de la Tunisie, il y a lieu de programmer nombre de campagnes ponctuées par des road show à travers plusieurs pays frères et amis pour soutenir cette démocratie naissante, à travers une assistance étudiée et des programmes de coopérations porteurs. Trêve donc de mouvements sociaux, de grèves, de manifestations, de «sit in» et du phénomène «dégage» (utilisé à l'encontre de nombre de responsables soupçonnés de connivence avec l'ancien régime et laisser la justice prendre son cours). Les revendications de certaines franges ont été bien enregistrées par qui de droit et il faudra laisser un peu de temps aux décideurs pour les traiter. La confiance entre gouvernants et gouvernés étant enfin de retour, il s'agit d'utiliser les différents canaux de dialogue et de concertation pour solutionner les différends sans mettre en péril les acquis de cette révolution. Pour cela, il est impératif de différer définitivement, du moins pour l'année en cours, toutes les revendications de majoration salariale et de concentrer tous les efforts sur la production avec toujours un couple de productivité-productivité sans cesse amélioré pour faciliter l'exportation. C'est à la lumière des résultats qui seront réalisés durant cette année qu'on pourra construire le niveau des revendications à formuler. Il n'est pas inutile à ce propos de se remémorer le comportement patriotique des travailleurs allemands et japonais, suite à la défaite de leurs pays au terme de la seconde guerre mondiale : ils ont abandonné spontanément leurs droit de congé sur une certaine période et voyez aujourd'hui le résultat : des pays classés au top 5 des économies mondiales les plus avancées ! Une campagne de donations en jours de travail ou en numéraire (au compte «Citoyen 111» ouvert sur les livres de la BCT) serait la bienvenue pour aider l'Etat, surtout face au tarissement actuel des ressources fiscales et à l'impossibilité du recours aux marchés financiers internationaux, suite à la dégradation du rating tunisien. Une telle mobilisation des différentes parties prenantes reste de mise afin de conduire à bon port cette transition démocratique, tout en améliorant la viabilité économique du pays afin de pouvoir s'attaquer aux racines du mal du chômage, de l'emploi précaire et du déséquilibre de développement régional. Est-ce que la croissance économique remontera de sitôt la pente et rattrapera le léger retard accusé ? Tout laisse à penser que la réponse pourrait être positive au vu des ressorts et des atouts dont dispose l'économie tunisienne, outre la compétence de la nouvelle équipe de décideurs en place. Autre interrogation non moins importante : s'agit-il d'une baisse de régime conjoncturelle révélée au grand jour par l'instabilité sociale des deux premiers mois de l'année suite à l'insurrection populaire ou devrait-on parler plutôt de choc structurel et dans ce cas il faudra alors revoir de fond en comble toute la politique économique du pays ? Certes, la Tunisie de l'après 14 janvier 2011 est désormais un vaste chantier de réformes notamment sociales, mais au plan strictement économique et financier la situation semble beaucoup plus tranquilisante. «Lorsqu'un jour le peuple revendique la vie (ou veut vivre), force est pour le destin de répondre, force est pour les ténèbres de se dissiper, force est pour les chaînes de se briser». Ces deux vers de notre célèbre poète Abou El Kacem Chebbi intégrés à l'hymne national tunisien et longtemps scandés par les manifestants de tous bords durant cette révolte populaire résument à eux seuls la valeur de la détermination qui peut venir à bout de tout objectif, si relevé soit-il. Pour ce peuple tunisien, qui par le biais de manifestations virulentes mais pacifiques, a pu destituer un régime policier des plus tenaces, pourra à coup sûr, s'il en a la volonté, faire en sorte que l'année 2011 ne soit pas un «pschitt», mais plutôt un «big bang» économique afin de marquer de belle manière et pour la postérité cette année salutaire pour la Tunisie.