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L'élaboration d'une Constitution est un acte civilisationnel Transition Démocratique - Témoignage : L'Assemblée constituante de 1956 — M. Mustapha Filali se souvient
Nombreux sont ceux qui le disent, le révèlent et l'admettent : l'ancienne Constitution ne va plus de pair avec les exigences des temps qui courent. Cela dit, les attitudes oscillent souvent entre rupture totale avec la mère des lois et préservation de ses fondamentaux irrévocables pour élaborer la nouvelle. Entre hier et aujourd'hui, les distances s'avèrent porteuses de sens. Notre témoin de l'époque n'est autre que M. Mustapha Filali, ministre de l'Agriculture à l'ère "bourguibienne" et, actuellement, membre de l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Portant le nombre de ses années passées au service des intérêts supérieurs de la patrie comme un médaillon honorifique sur sa poitrine, M.Filali, un des fondateurs de la première Constitution tunisienne, ou encore "la petite encyclopédie de l'histoire tunisienne", comme le qualifient certains, a bien voulu nous éclairer sur le passé tout en gardant un œil sur le présent. Gardant une mémoire fraîche qui refuse de courber l'échine devant l'œuvre du temps, M. Filali se rappelle tant d'anecdotes historiques comme s'il s'agissait d'un passé tout proche, si ce n'est le présent. Il souligne, dans ce sens, que la Constitution de 1956 a été promulguée par décret beylical datant du 12 décembre 1955. "Les élections se sont déroulées à l'Assemblée au premier trimestre de 1956 et le gouvernement a été constitué en avril 1956. Les travaux de cette Assemblée constituante ont commencé conjointement avec l'activité gouvernementale suite à la proclamation de l'indépendance du pays le 20 mars 1956 et ont continué jusqu'au 1er janvier 1959. Cela veut dire que l'Assemblée a mis trente quatre mois pour l'élaboration du texte de cette Constitution. Pendant cette période, certains membres de cette Assemblée, dont moi, ministre de l'Agriculture à l'époque, assumaient également des responsabilités gouvernementales. Il faut dire, à ce propos, qu'une bonne dizaine de mes camarades qui viennent de l'horizon syndical de l'Ugtt faisaient partie de la composition gouvernementale : Lamine Chebbi était ministre de l'Education nationale, Abdallah Farhat, chef de cabinet du président de la République…". M.Filali soutient que cette période a été consacrée non seulement à l'élaboration de la Constitution, mais aussi à l'examen d'un certain nombre de problèmes qui ont surgi pendant cette période. Le premier de ces problèmes était posé quand l'avion qui emmenait vers Tunis, à partir de Rabat, le leader algérien pour rejoindre le Roi Mohamed V pour une conférence maghrébine que projetait le président Habib Bourguiba avec eux, a été intercepté par l'aviation militaire française. Les chefs de la résistance algérienne ont été conduits en France et mis sous les verrous. "Il a fallu tenir par conséquent des réunions à l'Assemblée pour protester contre ce rapt. En même temps, une plainte a été déposée contre le gouvernement tunisien auprès du Conseil de sécurité et il a fallu suivre ces problèmes-là pendant un certain temps. Ensuite, le 8 avril 1958, l'aviation française a bombardé la zone frontalière de Sakiet Sidi Youssef, tuant des écoliers dans leurs classes et faisant des victimes dans le marché de la ville. C'est pourquoi, une protestation énergique a été déclenchée contre cette sauvagerie. A ce moment-là, il y a eu des interventions amicales de la part des gouvernements des Etats-Unis et de l'Angleterre, dans une tentative pour régler ce problème entre les deux pays. La Tunisie était engagée dans ce qui s'appelait la zone franche, une zone économique qui avait pour monnaie le franc. Et au terme de cette appartenance, le gouvernement français qui centralisait les avoirs de toute la région s'engageait à fournir une rétrocession des fonds dévolus à la Tunisie pour alimenter son budget. Or il s'est trouvé que la France a refusé de respecter ses engagements et elle a dévalué d'une façon unilatérale le franc qui était notre monnaie commune. Ce qui nous a amenés à nous dégager de la zone franche et à créer notre monnaie nationale, le Dinar. Là aussi, il a fallu consacrer des séances à ces problèmes. Tout au plus, il n'était pas admis que le premier gouvernement tunisien ait un budget sans que ce dernier soit approuvé par la Chambre. Aussi, on a consacré plusieurs séances à l'examen des budgets des différents départements. Ce faisant, 117 articles figuraient, au départ, pour l'élaboration du texte de cette Constitution. Puis, au terme de plusieurs débats, le nombre était réduit à 67. Par conséquent, la période effectivement et réellement consacrée à l'élaboration dudit texte ne dépassait pas une quinzaine de mois, compte tenu des déviations et incidents sus-mentionnés, qui détournaient notre attention et sur lesquels nous devions impérativement nous prononcer. Après, nous avons consacré des séances très houleuses à l'examen de certains textes fondamentaux. Il faut de même rappeler que l'Assemblée constituante était formée de 97 membres élus dans un front national qui comportait outre le parti destourien, l'Ugtt, l'Union de l'artisanat et de l'industrie et l'Union agricole. A ce moment-là, il n'y avait pas encore d'Union de femmes. Ces fronts avaient donné à l'Assemblée environ une quarantaine de députés relevant des partis, une vingtaine ou un peu moins appartenant à l'Ugtt et le reste se répartissant entre l'Union de l'artisanat et de l'industrie et l'Union de l'agriculture. Cette composition traduisait la pluralité des points de vue exprimés au cours de l'examen du texte de la Constitution. L'un des points ayant donné lieu à des débats assez tendus était d'abord celui relatif à la constitution d'un pays arabe, islamique, souverain. Le débat était houleux entre deux partis à propos de deux tendances prônées en Egypte et au Moyen-Orient, à savoir l'islamisme présenté par les Frères musulmans et le nationalisme arabe. Ces deux tendances nous semblaient être représentées en Tunisie par les "yousséfistes". Parce que Salah Ben Youssef qui a fait dissidence par rapport au parti était réfugié en Egypte et représentait en Tunisie l'aile dure de ces deux tendances islamiste et nationaliste. Par conséquent, on était un peu frileux à l'égard de ces deux épithètes arabe et islamique et il y a eu un large débat. Cela s'est passé sans renier les deux éléments fondamentaux de notre identité. Parce que l'identité d'une nation, d'un pays, comme le prône Mohamed Abed El Jabri, le philosophe marocain décédé, dans ses travaux est constituée de la trilogie de la langue, de la religion et de l'histoire. André Malraux ajoute, quant à lui, une quatrième dimension, qui est la volonté de vivre en commun et de bâtir ou d'imaginer ensemble un avenir commun…", observe notre interlocuteur. (Nous y reviendrons)