Par Ridha MABROUK Vous avez su calmer l'ardeur et la colère d'une opinion enfin libre de s'exprimer après un demi-siècle de gouvernement autoritaire. Votre action intelligente et efficace a reçu un préjugé favorable de nous tous. Mais comme vous l'avez bien dit, votre tâche est difficile car nous affrontons comme tout le monde arabe une grande épreuve. Un ennemi invisible se servant de la technologie avancée au service de la communication a semé la peur, l'incertitude et la discorde en chacun de nous. C'est une véritable croisade. Hier, les images de la guerre civile en Libye, la guerre larvée contre les Palestiniens pendant que la ligue délibère s'il faut répondre par écrit ou se taire. Notre frontière est inondée par un peuple criant la misère, des humains ayant tout perdu, couchant à même la terre. Tout cela ne peut laisser indifférent un voisin, médecin honnête et sincère. Peut-on régler nos problèmes dans cette atmosphère en demandant l'aumône aux pays frères ou en comptant sur le soutien de ceux qui prônent la liberté pour mieux régler leurs affaires ? Vous savez que durant notre trimillénaire, nous avons surmonté bien des épreuves similaires. Aujourd'hui, c'est vous donc et vous seul qui devez utiliser le magnifique sursaut régénérateur de notre peuple. C'est un élan semblable venant profondément de tous les habitants du pays et pas seulement des jeunes qui a assuré la victoire de la première révolution. Celle qui a permis de construire une nation respectable. Un bon exemple en fut la manifestation de 9 avril 1938, à laquelle avec mes camarades de Sadiki (alors foyer des patriotes) j'ai eu la joie de participer. Votre porte-parole officiel, la télévision nationale, doit informer et non pas exciter une opinion déjà surchauffée. Elle doit cesser de médire sans preuves et de plaire à ceux atteints de la maladie de la hargne «annakma» en reparlant de Ali Baba et les quarante voleurs. La loi tranchera car elle découvrira bien d'autres. La dignité de la nation est en jeu. Quel intérêt de malmener en direct des anciens représentants de l'autorité. Cela peut se retourner contre d'autres représentants, et vous-même plus tard. Bouazizi s'est immolé parce qu'on lui a manqué de respect. Le 14 Janvier est aussi une date mémorable. Il ne faut pas l'entacher par une attitude mesquine. Deux mois se sont écoulés, et la Révolution doit être fière de ce qui a été déjà accompli. Mais il est urgent de se remettre à l'ouvrage si on ne veut pas risquer le naufrage. La démocratie qu'on promet au peuple n'est pas un gâteau de papa Noël servi sur un plateau d'argent. C'est le fruit d'une éducation et d'un combat permanent. Messieurs nos dirigeants, Le dernier mot vous revient pour que ce pays retrouve sa qualification de pays de l'ordre et de la sérénité, qualification bien méritée depuis des années, sachant bien que cela ne peut se faire en quelques jours. Les partis, les associations, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, tout le tissu de la nation doit se donner la main pour franchir cette étape décisive de la révolution. La concorde est un atout majeur. Tout autre calcul est trompeur. C'est quand l'ordre est rétabli dans la rue et dans les esprits que chacun pourra enfin respirer et défendre ce à quoi il croit. Au nom de quoi, un Tunisien honnête qui n'a ni le pouvoir, ni l'argent en tête, vous refuse-t-il son soutien? Ensemble nous vaincrons injustice et misère. De notre patrie, je ne désespère. De mon pays, je veux rester fier. Vous êtes le Samu d'un malade grave. Sauvez-le avant de demander le bilan et de faire des explorations.