Mehdi G fait partie du quart de l'électorat tunisien composé de 2, 400 million de jeunes de 18 à 29 ans qui décidera de la Tunisie de demain. Avec ses 18 ans, il regarde ce qui se passe étrangement dans sa ville. Un père qui se prend de passion pour un parti politique qui prône l'extrémisme, des amis qui continuent à ne rêver que de « brûler » au risque quasi évident de mourir, des études dont il sait les débouchées difficiles, une crise économique qui plombe le quotidien et qui va perdurer . Accablé, Mehdi sait qu'il doit attendre. Beaucoup attendre. Décidé à aller voter, il ne sait pas encore pour qui. En boucle, il dit : « Que se passe t-il dans mon pays ? Qui sont ceux qui en appellent à la séparation des sexes dans les écoles ? Comment les ex du régime continent-ils à faire autorité ? Où est la justice ? Est ce pour cela que j'ai failli me faire tirer dessus ? « Désarçonné, le jeune homme observe la sécurité paraitre et disparaitre comme par magie. La police est là avec son arrogance ou s'en va comme pour faire payer un tribu. Une opinion que partage Akram qui ferme tôt la boucherie où il travaille à Bir Bouregba. «Il ne fait pas bon trainer dehors La sécurité est une question qui nous touche particulièrement. La rue, ca nous connait, nous y trainons plus que les autres ! » La rue. Cette fameuse rue qui se substitue aux salles de cinéma et centres sportifs et culturels qui n'existent pas ou peu. Et pour cause ! Youssef et ses amis ont lancé une radio sur le net sur fond de révolution. La politique, ils n'y comprenaient rien avant le 14 janvier. Ils n'y voient pas plus clair après. A un moment, ils ont exprimé une volonté de s'impliquer dans la vie politique, associative de leur ville. En vain. Comme Mehdi, Imed, Akram, Ahlem, Ilhem, Anis, des centaines de milliers de jeunes déchantent. Si certains ont pu s'intégrer dans la vie associative qui foisonne en ce moment essentiellement dans la capitale. Ce sont toujours les mêmes qui continuent à ressentir l'exclusion. Leur colère (re)gronde. Voteront-ils ou pas pour les élections ? Qui sont-ils et que veulent-ils ? Quelle perception ont-ils cinq mois après la révolution ? Vit-on ses 20 ans de la même manière à Gasfa, Rejiche, Sidi bou Said, Korba, Metlaoui, Kondar Sont-ils égaux devant le présent pour se projeter dans un même avenir ? Crédibles ou pas les sondages d'opinion qui se multiplient finissent presque par se ressembler. Ils ne donnent pas d'indications précises sur ce que pensent les jeunes. Combien de ceux qui se réjouissaient de leur maturité réalisent que si la jeunesse perd espoir cela risque d'être fatal au projet d'une Tunisie moderne ? Dans certaines régions, on ressent déjà une certaine prédisposition pour des votes sanctions. A demi-mot, les réponses sont évasives, offensives voire menaçantes. Le nombre des partis n'est pas le seul problème qui se pose. La reconversion des anciens du RCD et de la mafia des Trabelsi-Ben Ali dans de nouvelles structures provoque les jeunes. Bien qu'ils sachent que c'est propre à toute transition démocratique, cela les perturbe. Entre les partis qui naissent et ceux qui arrivent vraiment à établir un contact avec eux, il y'a un décalage dans lequel s'engouffre particulièrement un parti redouté ou apprécié; Ennahdha. Enahdha organise des cours collectifs pour le bac Par ses méthodes, qu'il séduise ou horripile, celui-ci ne laisse personne indifférent. Actif, il a organisé des cours collectifs et gratuits pour réviser le baccalauréat, promet des soutiens pour obtenir un stage ou du travail, engage des volontaires pour rétablir la sécurité ou le nettoyage dans les quartiers. Il stimule l'entraide et va même jusqu'à promettre des mariages. Dans ses discours Rached Gahnouchi revient souvent sur les difficultés que rencontrent les jeunes face au mariage et pousse la « solidarité » ou la « campagne » jusqu'à l'organisation de mariages collectifs Un discours qui plait à des jeunes épuisés par la misère et qui leur rappelle que leur corps ont des besoins et que l'horloge biologique est en marche. Jouer sur les besoins naturels de jeunes fougueux ne relève t-il pas d'une certaine forme de perversité ? Dans de nombreux cas cela motive. Nombreux sont ceux qui adhèrent au prix d'une promesse ou d'une « place » dans une parti politique qui apparait comme la principale force organisée de la nouvelle mosaïque politique tunisienne. La méfiance des jeunes envers tout autorité officiellement officieuse qu'elle émane du gouvernement transitoire, de la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique ou les partis politiques est légion. Elle se nourrit d'un quotidien qui se compose de grèves qui n'en finissent plus, de promesses qui ne se concrétisent pas, de discours qui ne les touchent pas et de démarches administratives qui n'aboutissent pas. Les jeunes continuent à se sentir manipulés par un système toujours en place. Un système qui a fait de leur marginalisation son fond de commerce. Ils se sentent des oubliés de leur propre révolution. Amine Manai est fondateur du Parti pour la Justice Social-Démocrate (PJSD). Médecin d'à peine 30 ans, il est actif sur le terrain et reste confiant. « Si les jeunes n'adhérent pas c'est parce qu'ils ne se sentent pas concernés par les discours monotones qui ressemblent étrangement à ceux de Ben Ali. Alors qu'ils ont été étouffés par des décennies de frustration des voix les accablent. On arrive même à dire qu'ils ne sont pas le peuple ! Allergiques aux politiques, le seul moyen de les motiver pour aller voter reste de leur expliquer les enjeux avec simplicité. Cela ne passe que par la réhabilitation de la confiance qui reviendra avec la communication et le dialogue ». Leila B est enseignante. Elle passe sa vie avec les jeunes et s'étonne des raisonnements alarmistes qu'elle enregistre ici et là. « Nous n'avons ni le même vécu politique ni la même façon de nous y intéresser. Ils nous ont surpris plus d'une fois avec leurs engagements, avec kasbah1 et 2 et sauront surprendre encore... Ils n'ont pas les mêmes repères idéologiques et leurs attentes sont autres. Ils sont dans la recherche d'une politique plus participative et ils iront voter. Ils sont attachés aux acquis modernistes de la Tunisie et témoignent tous les jours un attachement profond aux valeurs républicaines et démocratiques »» Boulot ou « Boulitique » ? Moheddibne G vit à Gafsa. Ancien champion d'athlétisme, il a été invité un jour au palais de Carthage où pour l'anecdote il s'est assoupi ce qui lui a valu à l'époque un coup de colère inoubliable. Il ne se fait pas d'illusion et affirme : « Depuis la révolution, seule une dizaine des nouveaux partis est venue s'adresser à nous. La région est politisée et reste fière de son passé syndicaliste. Ce dont nous les jeunes avons besoin, c'est du moins de politique possible. Nous an avons assez de cette politique qui a gangréné notre région. Nous voulons du travail, de la reconnaissance et du développement. » Dans un élan de fierté, il rajoute : « Nous n'avons pas le sou et trouvons le moyen d'envoyer des semis remorques entiers aux nécessiteux. C'est cela aussi la mentalité des gens du sud que l'on semble encore et toujours vouloir ignoré. » Walid N habite la cité Ettadhamen. Très actif sur les réseaux sociaux, il observe le comportement des jeunes qui l'entourent. Loin d'être démissionnaires, il estime que ceux ci n'ont plus peur et en aucun ne laisseront faire en aucun cas un 7novembre bis. Ils n'aiment pas les extrêmes et sont conscients du poids de leur vote. Pour lui : « Les jeunes voteront pour une figure paternelle et non pour un parti politique avec programme et idéologie. Et malheureusement, aucun parti n'a cette figure paternelle sauf Mourou et éventuellement Caid Essebsi ! Même ceux qui sont contre Ennahdha, se sentent proches de cette figure rassurante et paternaliste » Et c'est exactement ce qui fait hurler de colère et d'impatience Mourad M. « On m'a servi Ben Ali pendant des années et à mon père on a servi Bourguiba. Qu'est ce que ca a donné ? Ce genre de réflexion m'alarme sur le degré de maturité des jeunes. ». Adel Z est enseignant. Depuis quelques mois, il fait tous les meetings politiques dans sa région à la recherche désespérément d'un parti politique qui soit le plus proche de lui. Enthousiaste, il se rend au meeting Afek. »Ils sont brillants mais gardent les mêmes clichés que les autres. A ce jour, j'ai fais les meetings du PDP, CPR, FTDL Aucun ne me convient. Par contre, je suis déçu de voir des amis s'empresser d'ouvrir des bureaux de partis politiques qu'ils connaissent à peine comme sur un coup de tête. Est-ce un engagement ou une opportunité ? » Beaucoup de questions restent sans réponses que l'on ne découvrira que par les urnes. Le chemin est encore long. Un chemin semé d'embuches, de trahisons et de contre révolution. Un chemin rempli d'espoirs, d'un avenir meilleur et d'une Tunisie prospère, libre, démocratique et équitable.