Par Hafedh Laabidi* Alexis de Tocqueville pensait déjà au XIXe siècle que la démocratie politique et l'Etat de droit fonctionnent beaucoup mieux là où la société civile connaît un mouvement associationniste fort. C'est dans cette perspective que l'ONU a consacré en novembre 1985, dans les principes fondamentaux relatifs à l'indépendance des magistrats, la liberté d'expression et d'association. Les magistrats bénéficient, comme les autres citoyens, des libertés d'association et de réunion, pour sauvegarder leur indépendance et protéger leurs intérêts. L'article 12 du Statut universel du juge prévoit aussi que le droit d'association professionnelle du juge doit être reconnu, pour permettre aux juges d'être consultés notamment sur la détermination de leurs règles statutaires, éthiques ou autres, les moyens de la justice, et pour permettre d'assurer la défense de leurs intérêts légitimes. Le statut du juge en Afrique affirme dans son article XIV que les juges doivent être libres de constituer des associations de magistrats pour défendre leurs intérêts, faire prévaloir leurs droits et protéger leur indépendance. Enfin, l'article 1.7 de la Charte européenne sur le statut des juges énonce que les organisations professionnelles constituées par les juges et auxquelles ils peuvent tous librement adhérer contribuent notamment à la défense des droits qui sont conférés à ceux-ci par leur statut, en particulier auprès des autorités et instances qui interviennent dans les décisions les concernant. Faire du juge le bouc émissaire des tensions politiques et sociales est inacceptable et dangereux pour notre Etat de droit, d'où la nécessité pour les magistrats de se syndiquer : certains diront «pour être défendus», d'autres «pour se défendre tous ensemble». En fait, les deux idées sont indissociables car se syndiquer, c'est se rassembler pour préserver et améliorer les intérêts matériels et moraux des magistrats tout en résistant à la tentation permanente pour le pouvoir politique de s'immiscer dans le travail des tribunaux. Le 25 mars 2011, date de la fondation du premier syndicat des magistrats tunisiens, restera à jamais gravé dans la mémoire du monde judiciaire. Organisation indépendante à l'égard de toutes les instances, organisations ou unions syndicales constituées, il a notamment pour but, en vertu de ses statuts : - d'assurer l'indépendance de l'autorité judiciaire, garantie essentielle des droits et libertés du citoyen; - de défendre les intérêts moraux et matériels des magistrats, notamment en ce qui concerne leur recrutement, leur formation, et l'évolution de leur vie professionnelle; - d'exercer, devant toutes les juridictions, les actions relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des magistrats ; -d'étudier et de négocier toutes les réformes nécessaires concernant l'organisation et le fonctionnement de la justice ainsi que le statut de la magistrature; - négocier avec les partenaires sociaux et œuvrer pour le respect des conventions conclues ou à conclure au profit des magistrats. Le fait syndical est une donnée relativement récente dans le monde de la magistrature. Il n'en a pas moins été déterminant dans sa mutation dans les quatre dernières décennies. Les organisations syndicales, qui ont tant contribué à changer les modalités au sein du corps, jouent aujourd'hui un rôle important dans la gestion de la carrière des magistrats partout dans le monde. Alors, qu'est-ce que le Syndicat de la magistrature à travers le monde ? Le Syndicat de la magistrature a pour objet de : - Veiller à ce que l'autorité judiciaire — en tant qu'organisme distinct du gouvernement — puisse exercer sa mission en toute indépendance, l'indépendance est une condition première de l'impartialité. Les magistrats sont exposés à des tensions et des pressions. Or le juge ne doit être soumis qu'à la loi. - Etudier et promouvoir toutes les réformes nécessaires en vue d'améliorer l'organisation, le fonctionnement et l'administration de la justice et de compléter ses objectifs au moyen de conférences, de colloques, de programmes de formation, de rencontres et de discussions sur des questions d'intérêt commun et autres, ainsi que la formation et la carrière des magistrats. - Défendre les intérêts professionnels des membres du corps judiciaire. - Informer ses membres sur les plans professionnels et syndicaux. - Veiller à la défense de la liberté et des principes démocratiques. Le Syndicat de la magistrature milite pour : - Une justice indépendante afin de permettre une justice égale pour tous. - Un procès équitable pour tous. -Adopter les mesures et faire les représentations nécessaires pour veiller à ce que la rémunération et les autres avantages garantis par la Loi soient maintenus à des niveaux justes et raisonnables et de manière à refléter l'importance d'une magistrature compétente, dévouée et consciencieuse. -Permettre aux magistrats de jouer pleinement leur rôle constitutionnel de gardien des libertés individuelles à l'abri des pressions médiatiques et politiques. - Jouer un rôle dans la détermination des politiques en matière de formation permanente des juges. - Viser à obtenir une meilleure compréhension par le public du rôle de la magistrature dans l'administration de la justice et ainsi créer ou appuyer des programmes d'éducation publique et de relations publiques. - Répondre aux besoins et aux préoccupations des juges et des juges à la retraite. La reconnaissance de droits syndicaux : A travers ses actions et ses combats, le Syndicat de la magistrature fait admettre le fait syndical dans la magistrature et conquiert un certain nombre de droits (d'affichage, d'expression, de réunion, de grève...). Admettons quand même que le droit de grève n'est pas reconnu aux magistrats dans certains pays, certains pensent que le droit syndical est le droit de grève, c'est faux, ce n'est qu'un des instruments du droit syndical. L'action syndicale : Le Syndicat de la magistrature agit selon des modes d'actions diversifiées : - Les pratiques professionnelles : le Syndicat de la magistrature mène un travail de fond sur la justice et sur les pratiques professionnelles. Il constitue un lieu d'échanges et de débats et permet de rompre la solitude du juge. Le fruit de ces réflexions permet au Syndicat de la magistrature de produire des documents et des argumentaires afin de faire partager sa vision de la justice. -La participation aux instances institutionnelles : des représentants du Syndicat de la magistrature peuvent siéger au Conseil supérieur de la magistrature. Le Syndicat de la magistrature intervient auprès du ministère de la Justice et de la hiérarchie judiciaire pour la défense de magistrats lorsqu'ils sont mis en cause ou lorsqu'il est porté atteinte à leur indépendance. Il les assiste dans leur défense lorsqu'ils font l'objet de poursuites disciplinaires. -Le partenariat : le Syndicat de la magistrature travaille en partenariat avec la société civile car l'indépendance de la justice n'est pas que l'affaire des juges mais concerne tous les citoyens et l'équilibre de la démocratie. N'oublions pas que la justice est rendue au nom du peuple . Ainsi le Syndicat de la magistrature milite avec de nombreuses autres organisations : la Ligue des droits de l'Homme, des organisations professionnelles d'avocats.... . - Le travail de sensibilisation : le Syndicat de la magistrature accomplit également un travail de sensibilisation auprès des médias et des composantes de la société civile afin de faire connaître ses analyses sur les dysfonctionnements de l'institution judiciaire. - Les actions de soutien et le partenariat international : le Syndicat de la magistrature inscrit aussi son action pour l'indépendance et la défense d'une justice de qualité dans un cadre international. L'adhésion à un syndicat est un acte réfléchi : Pourquoi donc un syndicat des magistrats tunisiens ? Revendiquer la création d'un syndicat qui unit les magistrats tunisiens n'est guère en contradiction avec les objectifs de l'Association des magistrats tunisiens, dans la mesure où le syndicalisme judiciaire constitue une garantie fondamentale pour l'indépendance de la justice et la démocratie en ce qu'il permet aux magistrats d'exercer pleinement leur mission de gardiens des libertés individuelles. (Demain suite et fin de l'article)