Ce que les observateurs craignaient il y a peu s'illustre tragiquement. Avant-hier, treize Nigérians, dont des femmes et des enfants, ont été tués dans l'attaque d'un village près de Jos, dans le centre du Nigeria. Certains d'entre eux ont été brûlés, d'autres achevés à la machette. Encore une fois, les massacres délibérés en guise de représailles interviennent dans l'Etat du Plateau. Un Etat-charnière situé à la frontière entre la partie nord du pays numériquement dominée par les musulmans et la partie sud à dominance chrétienne. Quelques jours auparavant, au moins 500 chrétiens de l'ethnie berom, des cultivateurs sédentaires, avaient été massacrés par des éleveurs musulmans nomades de l'ethnie fulani (peule). La tuerie a eu lieu moins de deux mois après une flambée de violences où plus de 400 musulmans avaient été tués en règle par des chrétiens à Jos et dans ses environs. Même des unités de la police avaient alors participé aux massacres méthodiques. Les images de leurs escadrons de la mort abattant froidement des civils désarmés ont fait le tour du monde. La fureur assassine appelle la folie meurtrière. Représailles et contre-représailles s'emboîtent dans une chaîne macabre. Aux dires de l'organisation de défense des droits de l'Homme, Human Rights Watch, plus de 13.500 personnes ont été tuées dans des violences ethniques et/ou religieuses au Nigeria depuis la fin du régime militaire en 1999. En trame de fond, le contrôle de terres fertiles, véritable enjeu des affrontements meurtriers depuis une dizaine d'années. Les Beroms constituent l'un des principaux groupes ethniques de l'Etat du Plateau. Les éleveurs du nord en quête de pâturages ont migré au cours des dernières années dans leur région. Inévitablement, les migrations ont entraîné des conflits liés à la terre, qui plus est particulièrement fertile dans cette région. "C'est un conflit entre locaux et nomades, qui a une coloration religieuse", assure Tajudeen Akanji, directeur du Centre pour la paix et la résolution des conflits à l'université d'Ibadan située à l'ouest du Nigeria. Les conflits d'intérêts vitaux aiguillonnent les rivalités ethniques séculaires. En fait, le facteur religieux s'avère souvent secondaire, si ce n'est un alibi facilement brandi, de ces confrontations sanguinaires. Toutefois, les clivages sont tranchés. Les lignes de partition ethnique épousent celles des différenciations confessionnelles. Les violences prennent souvent dès lors une coloration religieuse. L'archevêque d'Abuja en saisit les contours: "Il s'agit du conflit classique entre bergers et agriculteurs, mais les Fulanis sont tous musulmans et les Beroms sont tous chrétiens". L'armée nigériane avait bien investi le 20 janvier dernier le centre dévasté de Jos. Son objectif consistait à y faire cesser les violences entre chrétiens et musulmans. Un couvre-feu permanent y a même été déclaré. En vain. Les hostilités avaient été déclenchées par des disputes autour de la reconstruction de maisons et d'une mosquée, détruites dans les émeutes de novembre 2008. Celles-ci, consécutives au meurtre de cinq élèves d'un pensionnat musulman, attaqué par des chrétiens, avaient fait plus de 700 morts. L'imbroglio se poursuit. Tragiquement. Menaçant le plus peuplé des pays africains, comptant à lui seul quelque 150 millions d'habitants. On n'est pas près de voir le bout du tunnel. Les témoignages sont effarants.Ils en disent long sur le potentiel inouï de hargne et de haine des protagonistes : "Ce que j'ai vu dans le village est très triste, affirmait avant-hier un responsable gouvernemental. J'ai vu les cadavres de femmes, dont certaines étaient très vieilles, celui d'un enfant qui devait avoir moins de cinq ans, et celui d'une femme qui était brûlée, avec un enfant sur son dos". Auparavant, un journaliste d'une radio locale avait rapporté avoir vu 12 cadavres alignés dans une rue : "Ils sont partiellement carbonisés et portent des marques de coups de machettes. J'ai compté six maisons brûlées et les gens autour de moi pleurent et gémissent". Une situation particulièrement aggravée par la culture de l'impunité qui semble sévir dans cette partie du Nigeria. On annonce des arrestations de temps en temps. Puis plus rien. Aucun dispositif sérieux ne semble mis en place pour enrayer ce cycle funeste des massacres interconfessionnels et interethniques. Le monde regarde mi-conscient mi-désintéressé. Mais la tragédie semble n'en être qu'à ses débuts. Avec le risque qu'un jour l'on se rendra compte que l'attentisme aura été fatal pour tous. Et pas seulement au Nigeria…