Il me revient l'honneur, mais aussi le plaisir d'écrire au journal La Presse de Tunisie qui, après la révolution du 14 janvier 2011, n'a cessé d'élargir la notion du patrimoine par la publication d'articles sur le sujet ou par le retour de la page du vadrouilleur. Vous le savez, le patrimoine culturel est devenu, depuis cette date, étroitement tributaire des soubresauts du contexte révolutionnaire en Tunisie et dans le monde arabe et, donc, de l'histoire en construction. Mais il faut rappeler que le patrimoine en ce début du XXIe siècle s'inscrit dans un cadre plus général : celui de l'universalisme et la mondialisation. Il s'agit principalement de s'interroger sur le rôle des politiques culturelles publiques impulsées non seulement par l'Etat tunisien, mais aussi par l'Unesco dans la protection du patrimoine. En effet, la notion du patrimoine mondial est historiquement liée à l'action de l'Unesco. Depuis 1945, la communauté internationale a œuvré par des actions, des opérations, mais surtout par des conventions pour protéger le patrimoine mondial. Ce fut d'abord la Convention de la Haye (1954), qui a pour objectif la protection des biens culturels en cas de conflit armé. En 1970, une deuxième convention a été ratifiée pour interdire l'importation, l'exportation et le transfert illicite des biens culturels. La plus importante des conventions fut adoptée le 16 novembre 1972. Elle concerne la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. 187 Etats-parties l'ont ratifiée. Une liste du patrimoine mondial comportant 911 biens constituant le patrimoine culturel et naturel et ayant une valeur universelle exceptionnelle révèle à nos yeux les succès de l'action de l'Unesco. Sur le plan normatif, la convention de 1972 n'établit pas un régime spécifique de protection. Elle ne surajoute pas aux réglementations nationales une strate juridique supranationale. Il s'agit tout simplement, d'un texte à portée incitative plus que prescriptive. Toutefois, et malgré les limites du modèle universaliste tracé depuis 40 ans, il ne convient pas de réviser la convention de 1972, mais de la réexaminer en fonction de l'évolution des idées, des pratiques et des contextes. A cet égard, le gouvernement provisoire, sensible à l'air du temps et à une demande sociale plurielle, a fortement contribué à l'élargissement de la notion du patrimoine culturel et à sa protection par plusieurs actions dont la dernière en date est la promulgation d'un décret – loi n° 11 du 10/03/2011 relatif à la restitution au domaine public de l'Etat, des terrains qui ont été spoliés dans le parc archéologique de Carthage-Sidi Bou Saïd. Nous attendons encore plus de mesures et d'actions en vue de faire face aux pillages organisés contre notre patrimoine culturel et naturel. Tout cela a été une conquête des martyrs, des acteurs de la révolution et des chercheurs et étudiants en patrimoine et on ne peut que s'en féliciter. Mais après cet intense éveil de la conscience patrimoniale qui est un phénomène aussi national que social, est-ce que le temps n'est pas venu de considérer le patrimoine comme vecteur de développement local qui est non seulement le développement économique d'une région mais aussi social, voire tout simplement politique? Ces réflexions sur le patrimoine, considéré au cours des deux dernières décennies comme un luxe de nantis dans notre société, sont indispensables pour saisir notre rapport avec le passé en même temps que notre perception du présent révolutionnaire et du futur de la Tunisie.