Des situations originales, une écriture élégante et des dialogues d'une grande vivacité, mais la réussite tient d'abord à l'étonnante maîtrise que possède l'auteur du texte. Voilà ce qu'on peut dire à propos de Watan (patrie), présentée, dimanche dernier, en avant-première, au 4e Art. Dramaturgie de Sihem Akil et mise en scène de Riadh Hamdi, la pièce revient sur certaines phases et diverses anecdotes de la révolution du 14 janvier. Au commencement, une lecture de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, en présence de huit personnages très bien répartis sur scène. Puis, un jeu impressionnant de la part d'une pléiade de jeunes talents prometteurs. La trame dramaturgique de la pièce se tisse autour de deux personnages principaux : Jaber, l'instituteur révolté et sa sœur. Lui, est leader d'un mouvement contestataire contre la tyrannie et le despotisme d'un régime politique dénué de tout bon sens et d'humanisme. Elle, c'est la confidente, symbole d'émancipation et de liberté, somme toute, d'un mélange de révolte, de faiblesse et de tendresse. La révolte orchestre tout et «l'homme-messie» semble loin de badiner avec ses principes. Sa soif de justice et de liberté n'a d'égale que son enthousiasme et sa détermination à faire face à l'injustice et à la persécution. Une position qui lui vaut détention et torture et à sa famille souffrances et tourments. Mais le révolté, tiraillé entre son devoir de père, de fils unique d'une mère agonisante et ses principes, continue son combat derrière les barreaux, tel un lion dans sa tanière. Quoiqu'emprisonné et alourdi par les meurtrissures de la vie, il ne renonce point à sa mission de libérateur d'esprits. Jaber déclenche, encore une fois, un mouvement contestataire au sein de la prison, provoquant désordre et bourdonnement assourdissant. Il fera ainsi l'objet d'une violente torture par ses enquêteurs. Et les gémissements d'un corps tragiquement malmené s'entendent à tout bout de champ. Toutefois, l'esprit résiste et refuse de courber l'échine devant la machine infernale d'un régime politique pour le moins inhumain. Rejab, adorable dans son rôle de révolté analphabète et idiot mais courageux et honnête venu d'une région reculée, est l'autre symbole de cette révolte contre l'oppression et les délires de l'ignorance. Faisant la connaissance de Jaber au sein de la prison, étant dans la même cellule, il se fait son élève, pour apprendre à déchiffrer les syllabes et écrire son nom. L'humour tient ainsi place et viendra apaiser le ton tragique marquant les dialogues de Jaber avec sa sœur. Le dosage comique est également assuré par les enquêteurs de Jaber et Rejab (gestes et mots), et atteint son comble quand l'un des codétenus de Rejab lui décrit comment fuir du tribunal, dans un registre très familier. De là, les quiproquos se multiplient entre un révolté candide et un «paria» sensible au malheur d'autrui. Watan est donc faite de meurtrissures et de quiproquos qui s'opposent et se complètent. Les images qu'on nous offre sont de toute beauté, les déambulations d'une grande élégance, et l'ambiance musicale est formidable. C'est tout cela qui fait que la pièce soit touchante. Sinon, Rejab est un brave paysan innocent qui traverse toutes sortes d'épreuves mais qui y résiste. Un simplet peut-être, mais libre et généreux. C'est en cela qu'il est brechtien. Il donne à lire que seul le théâtre peut dire tout sur tout. Il n'en demeure pas moins qu'il faut relever que le metteur en scène aurait pu travailler davantage sa scénographie et accentuer le rouge, afin de mieux illustrer le thème de la révolte autour duquel s'articule l'action et celui de l'amour, comme gage de pérennité d'une philanthropie souvent menacée.