Deux événements culturels récents ont fait couler beaucoup d'encre dans les cercles littéraires en France : il s'agit du livre de Bernard Fillaire « Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés », paru le 14 janvier 2010 et du film « L'Autre Dumas » de Safy Nabbou (avec Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde) sorti dans les salles de cinéma le 10 février 2010. Deux productions iconoclastes qui ont en commun la remise en question d'un ordre établi et ce, à la grande surprise des admirateurs du grand romancier et dramaturge prolifique du 19è siècle : Alexandre Dumas. Le livre entend rétablir la vérité en réhabilitant les « associés » littéraires, ces coauteurs des plus grands chefs-d'œuvre de Dumas, notamment Auguste Maquet qui était derrière la fructueuse carrière littéraire de Dumas et le succès connu par les grands titres : C'est à ce dernier, confie l'auteur, que l'on doit « Les Trois Mousquetaires », « Le Comte de Monte-Cristo », « La Reine Margot », « Le Chevalier de Maison-Rouge », « La Dame de Montsoreau », « Le Chevalier d'Harmental »… Bref et sans détour, le livre vient d'ébranler les certitudes et semer le doute dans les esprits de tous ceux qui reconnaissent jusque-là le génie littéraire d'Alexandre Dumas en annonçant que ce romancier n'est pas le seul auteur de ses livres et que la majorité de ses ouvrages n'existeraient pas sans Auguste Maquet, historien et écrivain de talent. Aussi Bernard Fillaire entend-il rétablir la vérité à son sujet en rendant à César ce qui appartient à César. En outre, dans cet essai, l'auteur envisage de lancer une réflexion sur la question de la collaboration littéraire en général. D'aucuns savent que pas moins de 650 livres sont signés Dumas, mais en vérité la plupart était le fruit d'un travail exécuté par ses collaborateurs, que Bernard Fillaire qualifiait de « nègres » et qui étaientt au moins une quarantaine, dont Nerval, Théophile Gautier, Anatole France, Xavier de Montépin et surtout Auguste Maquet à qui le Maître Dumas demandait d'effectuer des recherches préparatoires, historiques, documentaires, qu'il n'entendait pas mener lui-même, étant « ce bandit de grand chemin trop pressé de vivre pour avoir le temps d'écrire ! » écrit l'auteur. C'est à peine si Dumas retravaillait les manuscrits qu'on lui soumettait. Voici une anecdote qui confirme la thèse de l'auteur : « Un jour où Le Siècle (Journal au 19è siècle) attend le feuilleton le "Vicomte de Bragelonne", on s'aperçoit qu'à Saint-Germain-en-Laye, chez Alexandre Dumas, le texte a été perdu. C'est la panique ! Il faut absolument de la copie. Un journaliste se rend illico chez Auguste Maquet, collaborateur connu et reconnu de Dumas. On interrompt son dîner, on l'embarque au siège du Siècle. De sept heures à minuit, les feuillets se succèdent et, à 1 heure du matin, le journal est tiré. Le lendemain, le feuilleton Dumas est retrouvé à Saint-Germain et l'on compare : sur les 500 lignes du texte Maquet, une trentaine de mots sont différents, le reste est identique !... » Cet événement montre à quel point la totalité du travail est presque réalisée par le collaborateur ; Dumas n'aura qu'à apposer sa signature sur les manuscrits qui lui sont présentés. C'est qu'au 19è siècle, il fallait avoir un nom pour être publié. Dumas en avait un, Auguste Maquet n'en avait pas ! « Vous avez fait un chef-d'oeuvre, mais vous n'êtes pas un nom et nous ne voulons que des noms », lui rétorque-t-on à La Presse (journal au 19è siècle), qui a apprécié son roman historique La Conspiration de Cellamare. Même son de cloche au théâtre Saint-Antoine après lecture de son Soir de carnaval : « Vous n'êtes pas un nom ! », lui répète-t-on. L'auteur du livre veut montrer que pas mal de grandes œuvres dumasiennes sont le fruit d'un travail en commun et que leur succès revient à cette flopée de « nègres » qui travaillent à l'ombre d'un chef incontesté et publiquement plus reconnu ! Quant au film intitulé « l'Autre Dumas », sorti un mois après la parution du livre, il vient confirmer la thèse de Bernard Fillaire. Son intrigue s'articule autour de la relation entre Alexandre Dumas et son plus célèbre « nègre », Auguste Maquet, son double en écriture. Le metteur en scène envisage tout simplement réhabiliter l'un des principaux collaborateurs de Dumas. Le film fait écho du procès qui, en 1858, opposa Maquet à son ancien maître Dumas. Maquet qui réclamait l'argent que Dumas lui devait et voulait être reconnu comme coauteur des Trois Mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo, du Vicomte de Bragelonne, de La reine Margot et d'une dizaine d'autres textes écrits entre 1842 et 1852. Il obtint de l'argent, mais aucune reconnaissance ! Le film, profitant de ce litige littéraire qui opposait Dumas à son collaborateur, relate les tribulations qui ont marqué le parcours littéraire partagé entre le « Maitre » et son « esclave ». L'histoire se passe à Paris, à la veille de la Révolution de 1848…Alors qu'Alexandre Dumas et Auguste Maquet, son nègre littéraire, sont au sommet de leur collaboration, Maquet décide de se faire passer pour Dumas afin de séduire Charlotte, une admiratrice de l'illustre écrivain. Entre les deux hommes, l'affrontement est inévitable. Alexandre Dumas reste un cas d'étude dans l'histoire littéraire. Le cas Dumas-Maquet fera encore l'objet de plusieurs études et pourra donner lieu à toutes les interprétations possibles, sans pour autant mettre en doute le génie, le talent et l'inspiration de Dumas, du moins dans les toutes premières œuvres qu'il a écrites tout seul avant de recourir aux collaborateurs ! Alexandre Dumas n'est-t-il pas au Panthéon, reconnu comme une gloire nationale ? Il va falloir voir le film, mais aussi lire le livre de Bernard Fillaire avec l'impartialité d'un juge afin d'avoir une idée plus claire sur la collaboration littéraire et ses impacts positifs ou négatifs sur les relations entre les coauteurs.