Par Ridha BOURKHIS* Dans une réponse qu'il a donnée à un journaliste de la télévision nationale, samedi 2 avril dernier, à l'occasion d'une rencontre à Hammamet d'hommes de théâtre, monsieur le ministre de la culture par intérim Ezzeddine Bach Chaouch a dit en substance que «notre pays doit maintenant compter sur la propreté et surtout la propreté de la mémoire» qui, avons-nous compris, devrait toujours se rappeler ceux qui ont volé, abusé ou sali cette patrie et les empêcher de revenir aux commandes. Et leur barrer la route avant qu'ils ne soient nommés à la tête d'établissements importants où ils pourraient agir sur les orientations politiques, économiques, sociales et culturelles de notre nouvelle Tunisie où ils ont soutenu par leur action, par les responsabilités dont ils se sont chargés comme par leurs discours mensongers et leur plume à la solde, la dictature policière de l'ancien président tunisien Ben Ali ! Bien sûr, on ne peut que souscrire à l'esprit de justice et d'honnêteté régissant une telle bonne attitude favorable à la Mémoire. Cette Mémoire collective que personne, si malin et sournois soit-il, ne peut duper : on peut d'ailleurs intervenir insidieusement dans tel ou tel site électronique ou dans les archives d'un journal pour en faire disparaître toutes les impostures et falsifications de la vérité qu'on a habillées de belles phrases et de figures creuses et dont on a fait des articles de presse à la louange du «héros du changement», de ce «visionnaire» «d'exception» ou encore, tenez-vous bien ! de ce «seul candidat que la Tunisie attend» (sic !). On peut chercher aujourd'hui à faire oublier, même à ses proches, les encens et les léchages qu'on a publiés, sans vergogne, dans les quotidiens et les hebdomadaires de notre pays et qui n'étaient que de faux témoignages en faveur d'un régime franchement dictatorial, gangrené jusqu'à l'os dont ni la fade poésie des flagorneurs, ni les chiffres manipulés des fraudeurs, ni, encore moins, les élucubrations «philosophiques» des thuriféraires ne parvenaient vraiment à cacher le vrai visage ! On peut feindre de ne pas avoir appelé, dans des discours et des interventions dans les journaux, à l'éternelle élection à la présidence de Ben Ali ! On peut même ouvrir un nouveau compte facebook auquel on fait venir des «amis» crédibles ne s'étant pas toujours compromis avec «l'artisan du 7 novembre et de la Tunisie de demain» (sic !) et où l'on publie, curieusement, des textes à la gloire de la Révolution ou des éloges de soi qui est «naturellement pour le Bien et contre le Mal» ! On peut s'appliquer à rentrer dans les bonnes grâces d'un nouveau ministre par intérim ou d'un responsable au bras long ! On peut même enfin, pourquoi pas ? réussir à avoir, malgré son passé d' « idéologue » ou de collaborateur ou d'agent de la dictature, le prestigieux poste qu'on a longtemps convoité ! Oui ! Mais on ne peut rendre amnésique ce peuple tunisien ou faire disparaître de sa Mémoire fidèle ce qu'on peut faire disparaître des archives et des moteurs de recherche sur internet ! La Mémoire vous appelle ! Monsieur le ministre de la Culture, qu'est-ce que vous êtes juste et pertinent quand vous parlez de la Mémoire , notre Mémoire collective, notre Mémoire nationale, cette Mémoire qui n'a point oublié les fraudeurs, les encenseurs, ceux qui ont été chèrement payés, (oui payés !) avec des postes importants après avoir rendu de «loyaux services» de propagande et de légitimation de la dictature et de la corruption ! Continuons donc avec vous, avec Messieurs les autres ministres par intérim, avec les démocrates de notre pays à bien regarder dans les pages bien lisibles de notre Mémoire dont rien ne saura troubler la parfaite lucidité et qui, même au-dessus de tout esprit de vengeance basse, vous appelle, comme les autres responsables dans le gouvernement provisoire, à redoubler de vigilance quand vous décidez de nommer un Tunisien ou une Tunisienne à la tête de tel ou tel établissement, centre ou organisme. Car la Mémoire dont vous avez parlé et qui, comme vous-même, aime la propreté, pourrait être sidérée, ces derniers temps, par certaines de ces nominations inquiétantes (suivez mon regard !) de personnes qui, quelques démagogues et simulateurs qu'elles soient, ne peuvent leurrer notre Mémoire qui ne peut soudain oublier ce qu'elles nous donnaient à lire et à écouter et qui procédait de tout un système de propagande politico-idéologique à «la gloire» du despotisme obscur de Ben Ali. Comment peut-on en même temps se permettre d'arrêter (est-il toujours arrêté ?) le haut responsable et architecte redoutable de la politique médiatique propagandiste de Ben Ali qui s'est appuyée fondamentalement sur des «intellectuels» et des «universitaires», et mettre à des postes importants des personnes qui ont servi, par leurs plumes, par leurs discours ou par leur notoriété intellectuelle, cette même politique-là qui a failli conduire notre pays à un désastre irrémédiable ? C'est aussi avec des nominations si alarmantes qu'on risque de donner au peuple le sentiment d'être méprisé par ce gouvernement provisoire. Et c'est aussi avec ces nominations-là qu'on nourrit le doute, le malentendu et peut-être aussi la rupture avec ceux qui, peut-être, nous préfèrent amnésiques ! De quel côté seraient donc nos décideurs actuels, de la Révolution ou de la Contre-révolution ? Question légitime qui aujourd'hui taraude l'esprit de beaucoup d'observateurs en regardant revenir à l'avant-scène ses «ressuscités» de l'ancien régime ! Est-ce de la schizophrénie volontaire ? Autre chose : et là qu'on me permette de m'adresser humblement et dans le respect, particulièrement à ces intellectuels et universitaires ayant longtemps servi, par leur plumes zélées et leurs faux témoignages, le régime de Ben Ali qu'ils défendaient à cor et à cri, et de leur demander pourquoi ils se retournent soudain contre leurs propres articles, leurs propres discours et leur propre dictateur et solliciter encore des postes dans une Révolution qu'ils ont tout fait pour tuer dans l'œuf ! Comment peut-on être volontairement «schizophrène» et si volontairement «amnésique», oublieux volontairement de ce qu'on a fait et dit pour collaborer à un noir régime qui muselait et traquait justement surtout les intellectuels et les universitaires ? Ne serait-il pas plus honnête, plus digne, pour les collaborateurs de la dictature de se contenter aujourd'hui de leur métier et de faire preuve d'humilité, au lieu d'essayer, vainement, de falsifier notre Mémoire et de briguer, en mettant en œuvre de nouvelles simagrées et grimaces, d'autres postes bien prestigieux, mais loin d'être mérités ! Mémoire ! Mémoire !