Par Jawhar CHATTY Nul ne peut sérieusement mettre aujourd'hui en doute la bonne volonté dont fait montre le gouvernement provisoire pour parer au plus pressé. La situation sécuritaire, la croissance, l'emploi et le développement régional équitable sont à présent ses premières priorités. Il y a lieu de s'en féliciter tout comme d'ailleurs de cette liberté et cette franchise de ton, inédites jusque-là, dont il fait fort habilement preuve, transcendant de la sorte les petits calculs politiciens et les manœuvres partisanes. Provisoire, son action ne peut, microéconomiquement s'entend, par essence, que s'inscrire dans le court-moyen terme. Macroéconomiquement et politiquement, il en va bien évidemment tout autrement. A ce niveau, son action est historique, s'inscrivant sur le moyen-long terme parce que celle-ci engagera, d'une manière ou d'une autre, l'avenir du pays. Un pays qui, au lendemain du 24 juillet 2011, devra être un tant soit peu en mesure de répondre aux exigences de la mondialisation. Exigences de bonne gouvernance, de transparence, de compétitivité, de stabilité macroéconomique et bien évidemment de stabilité politique. En clair, le pays devra enfin donner au monde libre l'image réelle et vraie d'une Tunisie modérée et démocratique, ouverte au monde et sur le monde, intelligemment libérale et plus que jamais entreprenante. N'est-ce pas là au demeurant l'esprit et les idéaux de la Révolution tunisienne du 14 janvier 2011 ? Seulement, ne nous trompons ni de voie ni de chemin. Gardons-nous des discours populistes et stériles. Faisons surtout l'économie de cette autosatisfaction et de nombrilisme de naguère. Ayons le courage de reconnaître la limite de nos ressources et de nos potentialités à moyen-long terme. La Tunisie n'est pas le centre du monde. Elle ne l'a jamais été. A présent, elle est encore une goutte balbutiante dans l'océan du planisphère mondialiste. Le lyrisme, les propos pompeux et les promesses sans lendemain de nos partenaires stratégiques au lendemain du 14 janvier, leur admiration manifestée sur le vif pour la révolution tunisienne ne se sont, contrairement à toute attente, traduits ni par un «Plan Marshall» pour la Tunisie ni par un significatif afflux d'investissements étrangers. Même le statut avancé avec l'Union européenne, en principe acquis dès lors que les derniers verrous ont sauté, est remis à plus tard. Du cynisme ? Un peu sans doute. Mais du réalisme et beaucoup d'attentisme. En attendant, notre pays devrait, à court terme, au risque d'hypothéquer l'avenir, compter sur ses propres moyens. Il faudrait, à cet égard, ne pas en tenir rigueur au gouvernement. En veillant, toutefois, à agir activement sur le plan de la diplomatie économique en accordant cette fois à nos représentations à l'étranger les véritables moyens de leurs politiques et en y affectant des hommes connus pour leur haute compétence, pour leur longue expérience et crédibilité à l'international. Par-delà toute considération de partisanerie politique. Là aussi, le gouvernement provisoire devrait faire preuve de réalisme. Pour qu'en l'occurrence, en termes de perspectives économiques et de coopération, il n'y ait pas que l'Union européenne. De nouveaux horizons, à l'instar de la Chine, du Japon, de la Corée et de l'Inde, mériteraient un plus grand intérêt. Il nous semble à cet égard absurde que l'ambassade tunisienne dans un pays-continent comme l'Inde, centre par excellence de la nouvelle économie et de l'industrie du savoir, ait jusque-là fonctionné avec littéralement deux ou trois personnes, ne maîtrisant pas, qui plus est, la langue anglaise… en dépit des différents rapports adressés au ministère des Affaires étrangères par l'ambassadeur de Tunisie en Inde. C'est ce genre de dérapages qu'il faudrait éviter à l'avenir afin de mieux focaliser l'attention sur la Tunisie en tant que site d'investissement. Cette ambition est d'autant plus fondée qu'il y a franchement lieu de saluer aujourd'hui la détermination, le tact, la lucidité et la longue expérience politique du Premier ministre du gouvernement provisoire d'avoir réussi à littéralement arracher, lors de ses entretiens avec le président du Conseil italien au sujet de l'immigration clandestine, un accord au bénéfice des émigrés tunisiens campés à Lampedusa. Ce genre d'audace et de réalisme devrait non seulement servir d'exemple pour la diplomatie économique mais aussi pour la diplomatie tout court et pour la conduite de l'avenir du pays.