Après le peuple tunisien, le peuple égyptien vient, à son tour, d'avoir raison de la dictature. Sans doute, la Révolution tunisienne du 14 janvier 2011 a contribué à la prise de conscience populaire de la grande fragilité, jusque-là insoupçonnée, des dictatures. Quand, à l'unisson, la voix des peuples s'élève contre l'arbitraire, quand leur volonté se nourrit exclusivement à la source de la liberté et de la justice sociale, les dictatures s'effondrent avec une telle facilité que les peuples eux-mêmes et l'ensemble du monde s'en trouvent ébahis. C'est la principale leçon que l'on doit retenir de la Révolution tunisienne. N'en déplaise aux esprits naïfs et aux esprits délibérément manipulateurs, en se soulevant contre l'arbitraire, le peuple tunisien était à mille lieues de songer à exporter son savoir-faire révolutionnaire. Et si aujourd'hui certains se plaisent à soutenir l'idée d'une quelconque «exportation» du concept de la révolution tunisienne, ils courent le risque d'insulter l'intelligence des peuples et la mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés, en Tunisie et en Egypte, pour la liberté, pour la dignité et pour la justice. Soutenir le contraire, c'est subtiliser aux Egyptiens leur révolution et aux Tunisiens la leur et cette rare lucidité dont ils sont capables de faire face à l'adversité et aux tentatives de récupération. Une lucidité qui les a toujours fait bannir toute forme de prosélytisme et toute tentative d'ingérence dans les affaires d'autrui. Il ne faudrait, à cet égard, pas voir dans la liesse populaire tunisienne à l'annonce de la chute de l'ancien régime égyptien autre chose que l'expression d'une sincère volonté de partager sa joie avec le peuple égyptien. Ni plus, ni moins. Toute autre interprétation ou tentative d'instrumentalisation nous fera courir le risque de renouer avec les réflexes de l'autosatisfaction et le risque de perdre de vue l'essentiel. L'essentiel, à présent, pour nous Tunisiens, est de rester fidèles au message que nous a laissé Mohamed Bouazizi. De tout faire pour que ce message pour la dignité et pour la justice sociale soit vite traduit dans la réalité quotidienne par le travail et la discipline et marque de son sceau l'ensemble de actions et des décisions qui engageront l'avenir de la Tunisie. Aux premières effervescences, aux premiers débordements et à l'amateurisme flagrant dont ont fait montre jusque-là certains et tout particulièrement dans la sphère des médias, devrait aujourd'hui se substituer un discours pondéré et responsable, seul capable d'honorer le message de Bouazizi et de porter haut les couleurs d'une Tunisie libre, sage, moderne, tolérante, entreprenante et résolument tournée vers l'avenir. Si l'on focalise ici sur les dérapages de certains discours médiatiques, c'est parce que le monde nous regarde et qu'il commence déjà à se lasser de cette Tunisie post-révolutionnaire qui fait du surplace, qui donne l'impression de ne pas trop quoi faire de sa révolution .Comment nos partenaires du monde libre et nos premiers partenaires économiques et commerciaux qui tendent aujourd'hui la main à la Tunisie libre ont-ils pu apprécier que leur premier vis-à-vis, à savoir le ministre de Affaires étrangères tunisien , fut-il d'un gouvernement provisoire, soit aussi honteusement traité sur un plateau de télé par des communicateurs pressés, voulant imposer leur discours à leur interlocuteur et visiblement ignorants des dégâts sur le public qu'une telle attitude pourrait engendrer sur l'autorité de l'Etat, représenté par le chef de la diplomatie ; de surcroît un homme de grande culture, un diplomate chevronné et un militant de la société civile? Les médias sont aujourd'hui le prisme à travers lequel le monde fait sa propre lecture de la réalité d'un pays. C'est à travers ce même prisme que les décideurs, les stratèges et les investisseurs apprécieront le véritable devenir et la réelle portée d'une révolution. D'ores et déjà, le risque est grand de voir de nombreux regards se détourner de la Tunisie au profit de l'Egypte… Aujourd'hui, il faut faire confiance à la diplomatie tunisienne pour relayer à travers le monde dans l'immédiat et après, avec force, confiance et détermination, l'attachement de la Révolution tunisienne à la construction de la démocratie autour des valeurs universelles des droits de l'Homme dans le cadre du respect de la légalité internationale et de la fraternité entre les peuples.