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Bourguiba : le deuil confisqué
Entretien avec Dr Mohamed El Méchat, psychiatre
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 04 - 2011

Il y a onze ans, au moment de l'enterrement du Président Bourguiba, des millions de Tunisiens attendaient devant leur poste de télé la retransmission en direct de la cérémonie. Ils n'ont eu droit, sur leur chaîne nationale, qu'a des documentaires animaliers diffusés en boucle accompagnés d'images de couchers de soleil servis sur un fond musical doucereux…Ultime offense faite au "‑Combattant suprême‑" et à tout un peuple. Le psychiatre Dr‑Mohamed El Méchat nous aide à revivre ce deuil impossible. Un des multiples traumatismes subis par les Tunisiens sous le régime de Ben Ali.
Devant ces images de jungles tropicales, la colère s'est substituée au deuil. N'était-ce pas là une violence commise envers les Tunisiens ?
Bourguiba fait partie de notre histoire. Il nous quitte. Nous avons besoin d'accompagner à sa dernière demeure cette partie de nous-mêmes. Or on nous frustre en nous empêchant de vivre les émotions de ce moment d'une importance capitale. C'est une violence. D'autant plus que le disparu n'était pas n'importe qui : il a construit un pays, nous a aidés à affirmer et à confirmer notre identité nationale. Des liens affectifs multiples se sont établis entre Bourguiba et les citoyens lambda, entre Bourguiba et ses disciples politiques, entre Bourguiba et ses opposants. Il faudrait demander aux personnes qui ont donné l'ordre d'éliminer cet épisode de notre mémoire les raisons de cet acte incompréhensible.
Que signifie pour un être humain faire le deuil d'une personne chère ?
C'est savoir qu'on est arrivé à la limite d'une relation. Elle existera probablement par la pensée mais plus jamais d'une façon effective. Le départ d'un être cher nous permet de faire le bilan de cette relation. Lorsque le deuil est placé dans la frustration, comme le cas de Bourguiba, enterré pratiquement à la sauvette, le bilan est estropié. Loin d'être accompli dans l'apaisement, il suscite des interrogations, une gêne, voire une culpabilité pour les plus proches. Au fond, on a tué Bourguiba avant son décès : son départ du palais, le fait de le cantonner à Mornag un certain temps en nous privant de ses nouvelles, ses apparitions fortuites, où on a l'impression que la caméra joue un jeu pervers…Nous avions perdu le Bourguiba d'avant, actif, énergique, plein de vie. Quoique je me rappelle une fois où on nous a montré Bourguiba allant au palais de Carthage. Il avait compris la force de ce geste. Dans son discours, on avait l'impression qu'il reprenait le dessus, il n'était plus passif, ni simple spectateur d'une action. Est-ce la force de ses mots ? Ou alors notre subconscient qui nous faisait voir cet homme diminué par l'âge et la maladie réinvestir le devant de la scène ?
Par quoi expliquez-vous ces obsèques officielles froides, surencadrées, militarisées, opportunité pour une autoglorification de l'ex-président, en deçà de la valeur de Bourguiba ? Ben Ali craignait-il un moment d'unisson du peuple tunisien qui pourrait remettre en question son pouvoir, sa légitimité ?
Pour connaître la vérité sur cette histoire, il faudrait interroger les stratèges de la communication de Ben Ali, qui l'ont d'ailleurs complètement desservi. On dit de l'ex-président qu'il était froid. Cependant, ne l'ayant pas connu de près, je ne peux ni confirmer ni infirmer cette assertion. Je pense que, comme tout être humain, il doit porter une émotion. Ne l'oublions pas, il est un enfant de Bourguiba, le produit de l'Indépendance. D'un autre côté, le pouvoir est une puissance fragile. Et l'émotion incarne aussi une puissance. Nous l'avons bien vu pendant les évènements qui ont entouré le 14 janvier 2011 : c'est le désir qui a poussé les gens à résister, à s'exprimer, à vouloir changer les choses. Il est fort possible aussi qu'en sachant que la mort de Bourguiba pouvait raviver les frustrations et les mouvements émotionnels, on ait décidé de limiter au maximum la teneur de la cérémonie. Mais c'était encore une tentative pour comprimer la cocotte minute, qui a explosé quelques années après.
Bourguiba était un symbole. Ben Ali a tout fait pour le casser. A-t-il réussi ?
Bourguiba était un leader. Un vrai leader est d'abord un catalyseur de désirs touffus, confus, forts, bousculés par l'émotionnel. Toutes les personnes ayant conduit des foules nous parlent un langage qui nous appartient mais que nous ne savons pas toujours ni formuler ni décoder. Elles nous séduisent parce qu'elles donnent sens à ce langage. Au fond, on s'accroche à un leader lorsqu'il sait refléter dans son discours une partie de nous-mêmes. Lorsqu'il arrive à parfaire notre image. Aimer le leader revient à s'aimer soi-même.
Aujourd'hui Bourguiba revient au galop parce que nous sommes dans une phase qui rappelle les nouvelles idées de la décolonisation : on nous demande d'être créatifs. Bourguiba a été créatif au niveau d'un axe politique. Il a créé le principe de la communication directe avec le peuple, la " politique des étapes "…Actuellement, les Tunisiens se demandent comment faire marcher la démocratie. Ils savent qu'il faudrait innover pour réussir la transition démocratique.
Je n'ai pas eu l'occasion, hélas, de discuter avec Ben Ali au sujet de Bourguiba ni avec Bourguiba à propos de Ben Ali ! Mais je voudrais nuancer les partis pris. Loin de présenter Ben Ali comme un enfant de chœur, imaginons l'ex-président se retrouvant de par ses fonctions ministérielles auprès de Bourguiba. Un zaim, atteint par la maladie, diminué par l'âge, qui a perdu son côté flamboyant. On peut très bien, surtout lorsqu'on est un homme dont les seuls crédos sont la force et l'ordre, refuser cette image, vouloir l'éliminer. Ben Ali est difficile à déchiffrer. Comment quelqu'un qui a prononcé avec une telle conviction le discours du 7-Novembre a-t-il pu le nier ? Et pourquoi ? Pourquoi s'est-il fermé ? Pourquoi s'est-il entouré de conservateurs recrutés dans l'ancien PSD, qui se situaient hors du tempo de l'ouverture et de la réforme politique prônées au départ? A l'évidence, quelque chose ne tournait pas rond. Cela veut dire que le pouvoir ne peut pas être exercé par un seul homme. Il lui faut des garde-fous, qui sachent se faire écouter…On pourrait considérer le pouvoir comme un virus, qui donne une sorte de fièvre. Celle du commandement, de l'autoritarisme, de la transgression des lois, la fièvre qui vous fait oublier votre mission au service d'un peuple, d'un pays. Seuls les historiens, spécialisés dans la politique de la Tunisie, peuvent nous procurer des éléments de réponse par rapport à ce qui s'est vraiment passé pendant les différentes étapes de la présidence de Ben Ali. Il reste tellement d'inconnues…
Pour revenir à votre question, je ne crois pas qu'on puisse casser facilement un symbole. De toute façon, Bourguiba a représenté un symbole également pour Ben Ali. On ne peut pas détruire un symbole qu'on a essayé d'imiter. Je pense que Ben Ali a voulu incarner Bourguiba, mais autrement. Seulement, il n'a pas réussi dans sa démarche.
Les Tunisiens ont vécu de multiples traumatismes sous Ben Ali : répressions diverses, bâillonnement de la parole, humiliations, torture, mensonges, détournements de fonds publics, racket… A votre avis, les commissions chargées de nous éclairer sur les malversations commises sous l'ancien régime sont-elles capables de nous permettre de transcender tous ces maux ?
Elles peuvent nous aider à un triple niveau. D'abord à démonter les mécanismes qui ont servi à nous humilier, à nous flouer. Ensuite à comprendre pourquoi les institutions de défense contre ces déviances n'ont pas fonctionné. Enfin à enlever l'opacité : plus un acte est entouré d'incertitudes, plus il prend de l'ampleur et fait mal.
Un travail sur la mémoire à travers différents supports, livres, films, œuvres artistiques peut-il fonctionner comme une catharsis utile pour nous faire dépasser nos blessures ?
Le travail sur la mémoire est plus que souhaitable. Un peuple qui subit une contrainte aussi importante sans trouver des outils de protection –‑les Tunisiens ont fini par inventer une autodéfense en ressuscitant les chemins de l'expression‑– a besoin à un certain moment de se libérer. Le travail sur la mémoire nous permettra aussi d'inventer à travers les lois futures des outils et des institutions qui nous prémunissent contre un retour de manivelle.
Bourguiba a lutté pour l'indépendance du pays. Il a gagné la guerre contre le colonialisme. Ce n'était qu'une étape, bien sûr majeure pour nous. Or, il ne fallait pas s'arrêter là. Il fallait enchaîner la phase de construction du pays sur celle du changement des mentalités. Parier sur des Tunisiens libres, dignes, respectueux de la liberté, des croyances et des valeurs des autres, sachant vivre ensemble en paix malgré toutes les diversités pouvant exister chez nous. Ce qui rejoindrait d'ailleurs l'essence même de la démocratie. Bourguiba a réussi une première étape, une partie de la seconde étape, celle de l'édification d'un pays, ensuite il a été piégé par le pouvoir. Ben Ali n'a fait que tomber dans le même piège. Nous espérons qu'à l' avenir, aucun dirigeant tunisien ne sera contaminé par le virus du pouvoir absolu. Il faudrait pour contrecarrer un tel danger que le peuple garde sa bonne humeur et sa vigilance pour ne plus jamais être asservi.
Il y a deux jours, lors de la commémoration du onzième anniversaire de la disparition de Bourguiba, une des chaînes TV privées a passé un reportage des obsèques du zaim en s'évertuant à faire disparaître toutes les apparitions de Ben Ali. Sommes-nous condamnés à reprendre les mêmes scénarios de l'amnésie volontaire par rapport à des étapes révolues de notre histoire : Bourguiba niant les Beys, Ben Ali occultant Bourguiba et le gouvernement transitoire rayant des mémoires les images de l'ex-président ?
On revient à ce problème des structures mentales, qui changent difficilement. Le cerveau humain est paresseux. On ne peut pas innover tout le temps. Des études ont relevé que l'espace de mouvement de certains prisonniers libérés était très réduit. Parce qu'ils avaient intégré dans leurs cellules un espace de circulation restreint. Ils le reproduisent, y compris en dehors de la prison. Pour être libres, il faut avoir connu et vécu la liberté. Ce fait que vous citez nous amène à nous poser une question lancinante : que faut-il faire pour changer réellement ?


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