En ce dimanche grisâtre de mars, ma petite famille attend tranquillement les résultats du 2e tour des régionales françaises. Ma femme zappe d'une chaîne à l'autre et mon fils surfe sur Internet. Il est 16h00, je suis plongé dans la lecture d'un vieux magazine. Brusquement, la voix aiguë de mon gamin transperce mes oreilles: — Papa, ils ont falsifié les municipales à Tunis ! Viens lire le communiqué — Qu'est-ce que c'est cette histoire… Les élections, c'est dans deux mois ! Du haut de ses quinze ans, mon petit Tarek est péremptoire : — Mais non papa, c'est déjà fait. La preuve, il y a plein de réactions négatives ! Je reste figé dans mon fauteuil, saisi d'un doute. Ma femme baisse le son de la télé et me dit gentiment : téléphone à ton cousin du Kef, il était candidat. Sans réfléchir, ma réponse est automatique : il n'a pas appelé. Il doit être battu. K.-O. debout, je prends la place de mon fils pour naviguer sur la Toile et parcourir toute cette prose où il est question, tout à la fois, de municipales tronquées, de grèves de la faim «symboliques», de crimes crapuleux maquillés en affaires d'Etat, de dérives outrancières, de mauvais polars et de harcèlement de militants des droits de l'Homme. Une profusion de communiqués le plus souvent excessifs et insignifiants. Je parcours quelques sites crédibles. Non, les élections municipales n'ont pas eu lieu. C'est pour le 9 mai prochain comme prévu. Alors pourquoi cet acharnement ? Pourquoi cette inflation d'accusations gratuites et mensongères ? Pourquoi ces procès d'intention ? Pourquoi semer le doute et jeter l'opprobre sur toute avancée du processus démocratique en la condamnant par avance ? Ne s'agit-il pas d'une forme méchante de harcèlement et d'intimidation d'un régime politique librement choisi par les Tunisiens ? La raison invoquée, et répétée jusqu'à l'écœurement par un triste communiqué, est que «les anciens prisonniers en Tunisie sont libérés mais pas libres». En outre, affirme cette officine de désinformation, «les anciens prisonniers qui ont enfreint les restrictions qui leur étaient imposées risquent d'être renvoyés en prison puisque les autorités font preuve d'intolérance vis-à-vis de la dissidence». Mais enfin qui harcèle l'autre ? Qui est l'agresseur ? N'est-ce pas l'officine qui avance un salmigondis juridique où tout est confondu dans un mélange volontaire : la grâce comme la réhabilitation comme l'amnistie. A l'évidence, l'amalgame est recherché. Car enfin, tout juriste de bonne foi sait que : — La grâce consiste dans la remise de la peine, dans la réduction de sa durée ou dans le fait de lui substituer une peine plus faible prévue par la loi. — La grâce peut être conditionnelle, mais les condamnations remises par la grâce continuent d'être des antécédents judiciaires. — La réhabilitation ne peut être accordée que si le condamné satisfait aux conditions de délais prévues par la loi. — Seule l'amnistie, accordée par la loi, peut effacer l'infraction ainsi que la condamnation. Ce sont des évidences juridiques, reprises dans tous les manuels de procédure pénale. Et qu'a fait le régime politique tunisien sinon appliquer la loi ? Et s'il était «intolérant vis-à-vis des dissidents», pourquoi les aurait-il graciés ? Par ailleurs, et partout dans le monde, qui ignore que les anciens prisonniers qui ont bénéficié d'une grâce conditionnelle et qui ont enfreint les restrictions imposées risquent le renvoi en prison ? Ce n'est pas spécifique à la Tunisie. C'est un grand principe de droit pénal universel. Pourquoi les condamnés de droit commun qui bénéficient d'une grâce en Tunisie jouiraient-ils de surcroît d'une immunité ? Pourquoi seraient-ils au-dessus de la loi ? Pourquoi ces condamnés rechercheraient-ils une application partielle et partiale de la loi ? Au final, qui harcèle l'autre ? N'est-ce pas le professionnel de l'intox qui dégaine plus vite que son ombre en tirant sur des élections étouffées dans l'œuf ? N'est-ce pas une forme de traîtrise que de tirer dans le dos du régime à chaque fois qu'il fait un pas en avant ? Ou est-ce le régime qui se rend «coupable de respect de la loi» ? Finalement, ce régime aurait-il politiquement tort parce qu'il a juridiquement raison ? Non, bien sûr : le pays est désormais indépendant et affranchi. Il est donc libre et libéré. Et ce ne sera jamais le cas pour celui qui ne respectera pas la loi. Il faut le savoir et le faire savoir…