La pluie, qui a été plutôt généreuse pour les agriculteurs en cette saison, voilà qu'elle se fait cruellement attendre à nouveau, et en un moment critique qui est, disent les professionnels de la céréaliculture, celui du «remplissage»… Remplissage du grain bien sûr ! Ces derniers jours, il y a eu quelques ondées, y compris sur la capitale, mais pas partout. Il paraît qu'il a bien plu à Mjez el Bab… Je l'ai appris dimanche dernier au hasard d'une discussion avec quelqu'un, sur la route d'El Mabtouh qui relie l'axe Tunis-Bizerte à l'axe TunisMateur au niveau de l'oued Medjerdah… «Oui, il a plu dans le coin, mais la terre aurait bien besoin d'une autre pluie… Ailleurs, il n'y a pas eu de pluie du tout… Mais, ajoutait mon compagnon avec un intérêt marqué, à Mjez el-Bab : msalli alla'n nibi, ce fut la profusion !»… «Ah bon: la profusion ?!»… «Oui… Et ce n'était pas dû au hasard», finit-il par dire… «Certes, la météorologie est une science qui a ses règles», pensé-je en moi-même. Mais je n'y étais pas : mon interlocuteur ne mit pas longtemps avant de me déciller les yeux : «C'est que, à Mjez El-Bab, on a organisé une «salât el-is'tisqâ», une prière pour demander la pluie»… Ah, voilà un discours nouveau : comme les langues se délient depuis notre sainte révolution. En écoutant parler mon compagnon de route, m'est venue l'idée que ce langage avait bien pu lui être suggéré l'avant-veille, lors de la prière du vendredi… Car, on le sait bien, les prêches sont désormais «libérés» et on y entend des propos nouveaux… «Il ne pleut pas partout, m'apprend-il… Il pleut là où Dieu veut bien… Il pleut… là où les gens ont gardé le sens de la famille… silat-ti er-rahim !» Je me permets de lui faire remarquer que c'est sans doute forcer la main du Créateur que de considérer que, à partir du moment où il y a eu salât istisqâ, il faut que pluie il y ait aussi… La réponse est digne d'admiration : «Il y aura pluie très certainement… Avec la volonté de Dieu !» Mais, concède-t-il, la prière a ses conditions : «Il faut que ceux qui la font ne soient pas en conflit avec l'un de leurs parents, et n'aient pas des dettes impayées envers autrui… Il suffit que l'un d'entre eux soit dans ce cas pour que la prière de l'ensemble cesse d'opérer». On appréciera la dimension éthique du discours ! Mais ce qu'il faut surtout retenir, c'est ceci, à savoir que si une prière est accomplie sans que la pluie ne suive, ce n'est pas que Dieu ait jugé dans son omniscience que le temps de la pluie n'était pas encore venu, mais uniquement que l'un des suppliants n'était pas «en règle», pour ainsi dire : quelque brouille avec un parent qui traîne, une somme à rembourser à tel qui ne l'a toujours pas été… Et tant pis alors pour la récolte. Il ne resterait plus sans doute qu'à mener l'enquête: qui est donc celui qui a fait échouer l'opération et qui, ma foi, porte la responsabilité du désastre économique que représente pour les agriculteurs de toute une région le fait que la pluie ne soit pas tombée alors qu'elle aurait pu… qu'elle aurait dû ! Bref, ne faudrait-il pas imaginer des tribunaux spéciaux pour ces gens ?! Je me garde de faire part à mon compagnon de ces pensées… Nous arrivons à Sidi Othman. Est-ce la présence de ce saint patron qui me fait dire, au moment de le quitter : «Mais la bonne récolte, c'est avant tout que l'on se tourne ensemble vers Dieu en une prière qui veut le bien de la communauté… C'est cette prière qui est elle-même la récolte ! Et celui qui n'a pas payé ses dettes ne l'empêchera pas, mais courra peut-être s'acquitter de son devoir dès la fin de la prière». Morale de l'histoire : Rached Ghannouchi, qui concédait samedi dernier, lors d'un débat organisé à l'espace El Hamra, qu'il y a un problème d'encadrement dans les rangs des islamistes, n'a pas tout à fait tort.