Par Ridha SAHLI* Depuis la Révolution du 14 janvier, qui a tout changé dans notre pays, et l'étalage médiatique des faits délictueux, incombant aux membres de la plus haute sphère de l'Etat, la rue ne cesse de se demander si la justice sanctionnera les coupables. D'ailleurs, plus le temps passe plus le doute prend de l'ampleur. Pour une grande partie des citoyens, il n'y aura pas de vrai châtiment. Et ceux qui soutiennent cette thèse se réfèrent à l'après 1987, lorsqu'on attendait des poursuites judiciaires à l'encontre des membres du régime de Bourguiba qui ont détourné des fonds publics ou qui ont, par leur attitude ou leurs décisions, entraîné la faillite de l'Etat. De plus, la publication de la sentence déjà rendue de deux mois d'emprisonnement, concernant un membre de la famille du président déchu, n'a pas calmé les ardeurs. Toutefois, il faut savoir que pour ce dernier cas, il s'agit d'un délit douanier de change dont les peines privatives de liberté ne sont pas lourdes. Les sanctions de ces délits sont axées essentiellement sur les amendes, généralement impressionnantes, même si tout est relatif. Pour revenir aux actuels inculpés, qu'ils soient emprisonnés ou en fuite, il ne faut jamais oublier que leurs dossiers ne peuvent être que complexes et de nature diverse. Leur instruction demande du temps, de la concentration et de la réflexion de la part du juge d'instruction. De plus, les juristes savent qu'une enquête pénale nécessite la recherche d'un élément essentiel, celui de la preuve, dans le respect de la procédure. Puis, l'exercice pour établir un lien de causalité entre des faits punissables et leurs auteurs n'est pas facile. Surtout qu'il est probable que les auteurs de délits ou de crimes qui nous concernent actuellement aient tout fait pour ne pas laisser de traces, quelles que soient leur nature, afin d'échapper à toute responsabilité dans le cas où on découvrirait leurs méfaits. Il faut imaginer que les ordres écrits, express ou bien en présence de témoins, sont sûrement absents. D'ailleurs, en science criminelle, on a constaté que pour les faits délictueux, ayant un rapport avec des organisations où des structures étatiques, il est souvent difficile de retrouver le vrai responsable ou le donneur d'ordre criminel. Nous sommes souvent face à des individus qui raisonnent et qui ne laissent pas de preuves. L'ordre incriminé est lui-même dilué dans la pyramide par laquelle il passe, pour aboutir à la phase d'exécution. En droit pénal, bien que les événements puissent paraître très clairs, les gens de la profession redoutent tous les vices qui peuvent entacher l'engagement des poursuites, les poursuites et les éléments de preuve, pour déterminer le responsable. En effet, les erreurs de procédure peuvent être fatales dans une affaire judiciaire. Rappelons que pour les crimes, tous les inculpés doivent être défendus par un avocat. C'est une garantie obligatoire, imposée par la loi. Par conséquent, le ou les avocats qui auront à défendre les responsables du malheur tunisien soulèveront tous les manquements d'ordre procédural. Par ailleurs, même si ces derniers ne le font pas, la cour, elle-même, sera obligée de les soulever. De là, bien qu'il y ait une inquiétude croissante sur le sort des inculpés, il faut savoir qu'en matière criminelle, pour les affaires les plus classiques, entre la date de déclenchement des poursuites judiciaires et la date du jugement, les délais actuels avoisinent les dix mois. Concernant les hauts responsables tunisiens incriminés, même pas trois mois se sont écoulés. La justice pénale n'a jamais été rapide et la seule raison de cette lenteur réside dans le fait d'offrir le maximum de garanties à l'inculpé; à plus forte raison quand il s'agit de dossiers qui touchent l'intérêt de l'Etat. Et puis, si on applique le principe d'équité devant la justice, tous les coupables doivent en bénéficier. À ce propos, l'une de ces garanties, parmi tant autres, est le secret de l'instruction. En somme, même si beaucoup doutent de la justice à l'heure actuelle, il est certain que ces inquiétudes ne sont pas encore motivées, surtout qu'il y va de l'intérêt de notre démocratie de sanctionner tous les coupables. Il n'y a pas de démocratie sans justice, et pour l'avenir de notre pays, tous les individus doivent comprendre que quel que soit leur statut, ils ne sont pas au-dessus des lois. Pour rompre avec le passé, il est nécessaire de sanctionner les fautifs et ça sera la leçon dans l'avenir; tout responsable ne doit pas oublier qu'en cas de faute, il doit assumer ses responsabilités. Jusqu'à maintenant, c'est le climat installé par la République de l'impunité qui nous a fait douter de tout. Les responsables ne respectaient plus rien et les citoyens que nous sommes, nous avons perdu confiance en nos institutions. La justice ne doit être ni lente ni expéditive, mais elle doit s'appliquer pour assurer la pérennité et la stabilité de la nation.