«Lequel vaut mieux, que votre patrie soit en état monarchique ou en état républicain ? Interrogez le peuple : il veut la démocratie» Voltaire, penseur français du XVIIIe siècle Et non seulement Voltaire avait parfaitement raison, mais aussi le peuple tunisien. Beaucoup plus peut-être qu'il ne le croyait. Indépendamment des partis et sans meneur, le peuple tunisien a destitué un autocrate qui a érigé la dictature en institution et s'est imposé comme étant l'ennemi juré de la liberté. Affranchi de toute contrainte et de toute répression, le peuple est devenu le maître souverain de sa destinée. Il a opté sans équivoque pour une démocratie qu'il veut effective. Ce régime qui coupe court avec un passé d'obscurantisme politique à tous les niveaux. De nos jours, il n'y a probablement pas de mot qui soit d'un usage aussi fréquent que celui de démocratie. Il ne se passe pas un jour sans le lire dans tous les journaux du monde, sans l'entende répéter à satiété, dans les diverses langues, aux émissions de radio, de télévision et des autres moyens médiatiques. Journalistes, hommes politiques, chefs d'Etat, chefs de partis se réclament tous de la démocratie. Et ce mot non seulement n'a pas le même sens pour tous, mais il recouvre des réalités contradictoires suivant qui le prononce ou l'écrit. Il est évident que le système adopté dans le monde occidental et celui adopté chez nous, en Tunisie, pendant plus d'un demi-siècle diffèrent l'un de l'autre non seulement en degré, mais en nature. Il est non moins évident qu'en appliquant le même terme de «démocratie» à deux systèmes aussi opposés, on commet nécessairement une erreur de nomenclature pouvant engendrer de la confusion et des malentendus. Au fait, qu'entend-on par démocratie dans le monde occidental ? Il est toujours utile de le rappeler tout en me gardant d'infliger à mes lecteurs une dissertation à ce sujet. Voici comment on peut, je crois, résumer en quelques lignes la conception qu'on se fait de la démocratie dans le monde occidental : c'est un système de gouvernement qui est fondé non sur la force, non sur la volonté d'un seul homme ou d'une oligarchie, mais sur le consentement populaire. C'est un régime où des individus inégaux entre eux sont pourtant soumis aux mêmes lois, où la Constitution et les lois dépendent, directement ou indirectement, de l'approbation du peuple, un régime où le peuple a le droit d'exprimer librement son opinion et où la justice est indépendante. On m'objectera peut-être que cette définition est sommaire et que les régimes démocratiques varient beaucoup d'un pays à l'autre. Il est certain que les principes démocratiques sont, dans la réalité, appliqués suivant de nombreuses variantes. Il y a des démocraties pures où le peuple exerce lui-même directement le gouvernement, des démocraties représentatives où le peuple ne peut manifester sa volonté qu'indirectement, par l'intermédiaire des représentants élus par lui, des démocraties mixtes, où le peuple exerce son pouvoir souverain à la fois indirectement en élisant les membres du Parlement et directement par les droits d'initiative et de référendum grâce auxquels il peut proposer, adopter ou rejeter les lois. Le régime de démocratie mixte est adopté en Suisse où il est effectif et ce fut de même dans l'ancienne Carthage. Le bon Aristote, dans son livre La politique, en examinant les Constitutions lacédémonienne, crétoise et carthaginoise nous rapportait : «A Carthage, il est du pouvoir des rois et du sénat de porter, ou non, leurs délibérations devant le peuple, car, s'ils sont d'accord, elles font loi, s'ils sont d'avis différents, c'est au peuple de décider. Non seulement, il est maître de n'approuver ni l'une ni l'autre opinion des rois ou du Sénat, mais même de prononcer tout autrement, après une discussion dans laquelle le premier venu peut demander la parole et combattre les opinions soumises à l'examen, ce qui tint de la démocratie et n'est en usage dans aucune des deux autres républiques (Lacédémone et Crète)». Néanmoins, quelles que soient ses modalités pratiques, on reconnaît un régime démocratique à ce qu'il a pour principe essentiel de faire bénéficier, dans l'ordre et la légalité, l'ensemble des citoyens du maximum de justice et de liberté. C'est dire que la véritable démocratie ne se confond pas avec la loi du nombre qui aboutit à la tyrannie de la majorité sur les minorités. Les droits de ces derniers peuvent être sauvegardés grâce à des contrepoids telle une presse libre et responsable et à d'autres correctifs de droit public, ainsi qu'aux organisations de la société civile. A mon sens, l'idéal démocratique exige que tout être humain est une personne et doit être traité en tant que tel et que tous les citoyens composant la nation auront toujours droit au respect qui est dû à une personne et ne devront jamais être envisagés comme des instruments serviles entre les mains de ceux qui gouvernent. Ainsi, la démocratie devient une garantie de justice et c'est en quoi elle possède un prix inestimable, car aucune autre forme de gouvernement n'offre au même degré cette garantie. Si la démocratie est cela, il est clair que le régime qu'on appelle du même nom chez nous avant le 14 janvier 2011 n'a rien de commun avec la conception occidentale de la démocratie. Les faits parlent d'eux-mêmes et la démocratie telle que prétendaient l'instituer nos deux anciens dictateurs se confond avec leur parti unique. Ce qui est certain, c'est que ces deux présidents ont ignoré toutes les libertés, ainsi que les principes élémentaires des droits de l'Homme. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'un régime fondé sur la dictature du parti unique n'a plus de raison d'être. La révolution est sa fin nécessaire. Elle a eu en fin de compte raison de lui. Le peuple souverain, grâce à sa jeunesse, a dit son mot en mettant fin à plus d'un demi-siècle de dictature, et ce, au prix fort. Ce n'est pas son dernier mot. Il doit maintenant s'atteler à reconstruire l'Etat en mettant en place des institutions démocratiques qui étalent la démocratie verticalement et horizontalement dans leur pratique et une Constitution avant-gardiste qui consacre les acquis positifs de la société, les droits constitutionnels des citoyens et la séparation des pouvoirs avec des attributions claires et nettes pour qu'il n'y ait ni des empiètements ni des conflits de compétence au sein du gouvernement. Et pour que notre cher peuple ait toujours voix au chapitre, il doit exercer son pouvoir souverain dans une démocratie mixte en ayant pour instruments l'initiative et le référendum que lui octroie la Constitution. Sincèrement, ma préférence va pour ce régime démocratique, car il présente une meilleure garantie de bonne gouvernance et ne relègue pas le peuple au second plan. Il restera toujours le maître souverain et il est temps. M.K. * (Agricola et Juris Studiosus)