Par Omar Khlifi (cinéaste) Sous le prétexte d'une prétendue incursion de la tribu tunisienne des «Khémiria» en territoire algérien, des troupes françaises envahirent la Tunisie, le 24 avril 1881. C'était il y a de cela 130 ans. Mohamed Sadok Bey, dont le palais était encerclé par les troupes françaises, fut contraint,sous la menace, de signer, avec le général français Bréart, les dix articles du traité de Kassar Saïd, instituant le protectorat français sur la «Régence de Tunis». Le texte était déjà prêt dans ses deux versions arabe et française, que le général français déclama devant le Bey. La discussion entre le Bey et ses conseillers fut houleuse, seul Mohamed El Arbi Zarrouk, patriote sincère et courageux, s'opposa avec la plus grande fermeté à cette éventualité. Sadok Bey ainsi que Mustapha Ben Smaïl pleuraient d'impuissance. Sadok Bey, craignant de perdre son trône, s'il refusait de signer la convention, était enclin à lâcher du lest. Larbi Zarrouk était intraitable, soutenant que la régence était une province turque et que seul le Sultan était habilité à conclure un tel engagement, allant jusqu'à accuser bravement le monarque de trahison, lui criant avec exaspération qu'il valait mieux sacrifier une seule tête, fût-elle celle du Bey, que de sacrifier un peuple tout entier. Après consultation et accord du Cheikh El Islam, des deux cadis de Tunis, ainsi que du Bach Mufti, Sadok Bey signa la convention. Quant à Larbi Zarrouk, marginalisé, menacé de mort, il s'exila à Médine où il mourut en 1902. Payant ainsi son refus du colonialisme. En 1951, en pleine lutte de libération pour l'indépendance, le bureau politique du Néo-Destour décida que le 12 mai serait un jour de deuil national. Le 12 mai 1964 fut la date choisie par le président Bourguiba pour annoncer la nationalisation des terres agricoles détenues par les colons étrangers. A cette occasion, le décret fut signé sur la même petite table ronde ayant servi à la signature des accords du protectorat le 12 mai 1881. Cette table historique est visible, de nos jours, au musée de Kassar Saïd. Ce protectorat devait durer 82 ans, jusqu'au 15 octobre 1963 avec le départ du dernier soldat français du territoire tunisien de Bizerte. En effet, ce fut 82 ans de servitude, de soumission, durant lesquels le peuple tunisien subit stoïquement le joug d'une occupation étrangère qui a maintenu le pays dans une léthargie étouffante, dégradante, humiliante… Colonisé a outrance, le pays fut saigné à blanc, sans aucune retenue, par la faute et l'inconscience des Beys qui contribuèrent, eux-mêmes, à la décadence et à l'asservissement du pays. L'exception fut l'installation sur le trône de Tunis, le 19 juin 1942, de Moncef Bey. Foncièrement patriote, il exigea des réformes, qu'il n'a pas obtenues, en faveur du rétablissement de la souveraineté tunisienne. Dès la libération de Tunis par les armées alliées, le 7 mai 1943, des ordres émanant du général Giraud intimaient au général Alphonse Juin de destituer ce Bey qui osait remettre en question les traités du protectorat. Curieusement, c'est le 12 mai 1943 que fut arrêtée la décision définitive d'informer officiellement le Bey Moncef qu'il devait impérativement céder le trône à son cousin Lamine Bey, soit 62 ans, jour pour jour, après la signature du traité du Bardo le 12 mai 1881. Le 14 mai, Moncef Bey fut exilé vers la ville de Lagghouat, dans le Sud algérien. Transféré à Ténès dans l'Oranais, ensuite à Pau dans le midi de la France, où il décéda le 1er septembre 1948. Ouvrons une parenthèse pour signaler que de 1945 à 1948, la ville de Pau fut un lieu de pèlerinage obligé pour tous les nationalistes tunisiens. Ceux qui ne pouvaient pas se déplacer envoyaient des lettres de soutien auxquelles le Bey répondait par l'envoi de sa photo dédicacée. Ce n'est que le 20 mars 1956 qu'un protocole d'accord fut signé par Tahar Ben Ammar et Christian Pineau reconnaissant que la convention du 12 mai 1881, instituant le protectorat français, ne pouvait plus régir les rapports entre les deux pays. Les Tunisiens, conscients de cette liberté retrouvée et si chèrement acquise, se mirent avec enthousiasme au travail pour construire une Tunisie digne de nos aspirations et du sacrifice de nos martyrs. Puis vinrent la désillusion, l'angoisse, l'inquiétude, les manipulations sordides au service d'intérêts inavoués, profitant avidement et sans vergogne d'un Bourguiba vieillissant, malade et diminué, la peur des jours sombres ... Oui, la peur d'un autre 12 mai, un 12 mai d'un autre genre, qui entraînerait le pays dans un cycle de frayeur qui le déstabiliserait en le rendant vulnérable, à la portée de toutes les convoitises. Avec la révolution du 14 janvier 2011, par le peuple et pour le peuple, cette révolution doit veiller à sauvegarder cette liberté retrouvée en se préservant certes des dangers extérieurs... Mais surtout craindre le chaos intérieur. Dieu nous en préserve. Sans calculs partisans, nous devons œuvrer ensemble, main dans la main, pour une Tunisie prospère et invulnérable... Tel est notre but... Persévérance, vigilance et engagement total, afin que plus jamais, sous quelque forme que ce soit, notre Tunisie ne puisse connaître un autre 12 mai 1881.