Docteur Lotfi M'hiri, chirurgien polyvalent, est arrivé mercredi à Zarzis, en provenance de Libye et plus précisément de l'hôpital de Nalout où il a été dépêché, il y a 15 jours, en compagnie d'une équipe médicale, par l'International Medical Corporation (IMC), une association de bienfaisance. Contacté pour en savoir plus sur sa noble mission, il nous a répondu: «Nous sommes partis, deux infirmiers et moi-même, il y a deux semaines et nous avons été très bien reçus à notre arrivée. Au début, nous avons vécu des journées et des nuits inoubliables, tellement les combats faisaient rage. On a eu peur, bien sûr parce que les forces pro-Gueddafi tiraient des obus de mortier, des roquettes et des missiles Grad sur tout ce qui bougeait. Ils lançaient des attaques intempestives et à l'aveuglette sur des quartiers résidentiels, d'après des témoins oculaires. Des dizaines de blessés nous parvenaient à l'hôpital, jour et nuit, parmi les milices dans leur majorité; des jeunes surtout, entre 15 et 22 ans. En leur parlant, on voit bien qu'ils sont manipulés psychologiquement. Dans les poches de beaucoup d'entre eux, on a trouvé du Viagra. Je me rappelle encore un soldat touché à bout portant en pleine poitrine.Il était agonisant malgré les soins. Alors je lui ai dit de réciter la chahada. Il m'a répondu: «Allah, Maâmmar ou Libya ou bess» (Dieu, Maâmmar et la Libye, uniquement) avant de décéder. Je ne pourrai non plus oublier ce jeune de 15 ans qui, croyant le fusil déchargé, a tiré une balle dans le ventre de son frère, 9 ans, et l'a touché à l'estomac… A Nalout, on était 3 chirurgiens: un Egyptien, un Coréen et moi-même. L'hôpital est assez bien équipé mais c'est l'anarchie qui y règne. Le ravitaillement en médicaments nous parvient du poste frontalier de Dhéhiba. Tout le personnel médical a bien travaillé. Nous avons sauvé beaucoup de vies. Des cas graves ont été transférés à Sfax, en Tunisie. Personnellement, j'ai reçu une lettre de félicitations du responsable de la Croix-Rouge. Pour le reste, le bruit des explosions, des tirs et les sifflements des missiles Grad nous sont devenus familiers. Je savais d'avance que cela n'allait pas être facile et que c'était très risqué mais je suis fier de faire partie de cette action humanitaire. Samedi dernier, une roquette est tombée à 300 m de moi. Je n'ai pas paniqué. Imaginez en route de Nalout à Dhehiba, distants de 70 km, on roulait à 160 km/h et dans les virages à 120 km/h». Dr Lotfi M'hiri a emmené deux infirmiers avec lui : Kamel et Mabrouk, qui sont toujours à Nalout. Dans sa visite éclair pour voir sa famille et revenir poursuivre sa mission, le Docteur a été escorté par 2 Libyens. L'un d'eux, Jaïdi est un insurgé qui a participé à plusieurs combats à Jbel Nafoussa. Prié de nous parler de son dernier combat contre les pro-Gueddafi, il a répondu : «C'était la semaine dernière, à Mjabra. On était 54 rebelles, bien campés dans un endroit élevé et en contact permanent avec nos supérieurs, à Benghazi, quand nous avons appris qu'un bataillon d'environ 1.000 combattants bien armés allait nous attaquer. Face à une puissance de feu qui nous est franchement très supérieure, nous leur avons tendu un piège; après 3 heures de combats intenses, ils ont battu en retraite. Nous avons tué 200 soldats et pris en otage 35. Plusieurs autres ont été blessés. De notre côté, nous avons perdu 2 des nôtres, originaires de Zenten, en plus de 5 blessés qui ont été soignés par le Dr Lotfi». Et Jaïdi d'ajouter : «Ils ne nous font pas peur Maâmmar et consorts. Dommage, on n'a pas assez d'armes et de munitions. A cette occasion, je voudrais bien lancer quatre appels pressants à travers votre journal, si vous le permettez : – A Gueddafi je dirai que Dieu a dit qu'il faut activer l'inhumation des corps, alors que les cadavres de tes milices jonchent le sol, se décomposent et dégagent une odeur nauséabonde. Qu'est-ce que tu attends ? – A Sarkozy, je réitère que nous manquons d'armes et de munitions; c'est tout ce que nous voulons. – A l'Otan, je rappelle que nous souhaitons que les forces de l'Otan viennent à notre aide dans les plus brefs délais quand on leur fait signe d'un danger imminent qui nous guette et quand on leur indique l'emplacement des milices. – Et enfin, aux organisations humanitaires, je demande gentiment des vivres et des cigarettes malgré leur nocivité».