Par Sadok BELAID M. Obama vient de prononcer un grand discours supposé apporter un important réajustement de la politique américaine vis-à-vis du monde arabe, l'autre grand discours du Caire d'il y a deux ans, étant tombé totalement dans l'oubli, faute de réalisations concrètes. Il a décerné des satisfecit à la Tunisie et à l'Egypte des révolutions démocratiques, il a fustigé les tyrannies libyenne et syrienne et il a omis de dire le moindre mot à l'adresse des pays arabes bien pensants et modérés, dont pourtant la politique antidémocratique avérée aurait pu les classer dans la deuxième plutôt que dans la première catégorie des pays cités. Mais surtout, il a consacré de longs développements au problème palestinien. S'agit-il donc d'une nouvelle et sincère relance de la recherche d'une solution à un drame qui perdure depuis plus de cinquante ans ? Surtout, quelle relation y aurait-il entre cette nouvelle initiative de rééquilibrage de la politique américaine et le succès de mouvements révolutionnaires survenus dans certains pays arabes, ou sur le point de réussir dans certains autres de ces pays ? M. Obama concède que cette relation existe bel et bien, mais il l'entend d'une manière tout à fait particulière. D'un côté, en effet, il déclare que " malgré les nombreux bouleversements de la région, ou peut-être grâce à eux, il est plus vital que jamais de réunir Israël et les Palestiniens " autour de la table des négociations, et il ajoute même que la solution à négocier visera à assurer à terme la coexistence de deux Etats, palestinien et israélien, vivant côte à côte en parfait état de paix et de sécurité mutuelle et à l'intérieur de frontières sûres et reconnues, définies par référence à la ligne de 1967, avec, il est vrai, quelques aménagements et échanges de territoires pour régler le problème des grosses colonies israéliennes situées tout au long de la «Ligne verte» de 1948. Mais, d'un autre côté, il ressort du discours présidentiel que toutes ambiguïtés doivent être levées à ce sujet. Il s'agira bien d'une paix américano-israélienne et rien d'autre. L'affaire palestinienne n'est pas l'affaire des Nations unies, elle n'est pas l'affaire des Arabes, ni même celle des Palestiniens. Les uns ou les autres prendront ce qu'on leur donnera. Le plan de paix américain est clair. D'abord, toute velléité palestinienne d'autonomie de décision doit être écartée, comme par exemple cette intention prêtée à l'Autorité palestinienne de demander à l'Assemblée générale des Nations unies la reconnaissance d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Pour M. Obama, il sera inadmissible que les Palestiniens s'émancipent de la tutelle américaine et qu'ils osent mettre en échec le veto probable américain au Conseil de sécurité par le recours à l'Assemblée générale. Il l'a expressément et publiquement dit dans son discours. Mais surtout, il l'a dit au téléphone, à M. Mahmoud Abbas, en des termes beaucoup moins diplomatiques. Par la même occasion, cette mise en garde américaine adressée aux Palestiniens dissuadera les Européens de faire cavaliers seuls, et de se laisser aller à une éventuelle reconnaissance (unilatérale) de l'Etat palestinien. M. Obama a encore précisé qu'il ne faudrait pas attendre du futur accord israélo-palestinien qu'il résolve tous les problèmes et, immédiatement : loin de là ! Pour le Président américain, la solution des problèmes d'Al-Qods et du droit au retour des réfugiés palestiniens sera reportée à une date ultérieure, parfaitement indéterminée. D'un autre côté, il a insisté sur le fait que le futur Etat israélien sera l'Etat des Juifs : "A Jewish state and the homeland for the Jewish people" et encore, que l'Etat d'Israël aura le droit de se défendre, par lui-même, tandis que l'Etat palestinien, lui, sera un Etat souverain mais désarmé, "a sovereign, non-militarized state". Plus encore, des arrangements doivent être pris pour que le retrait des forces israéliennes des territoires palestiniens soient suffisamment étalés dans le temps pour permettre à Israël de s'assurer que "the effectiveness of security arrangements be demonstrated " (l'effectivité de ces garanties de sécurité doit être établie). En y regardant de près, on reconnaîtra aisément dans ces propositions de M. Obama les six principes intouchables de toute solution acceptable pour Israël et qui ont été, par avance, énumérés par le Premier ministre devant la Knesset : " i- Reconnaissance d'Israël comme la patrie du peuple juif ; ii- un Etat palestinien démilitarisé et sans le contrôle de la Vallée du Jourdain ; iii- solution du problème des réfugiés en dehors d'Israël ; iv- maintien des blocs de colonies juives dans le futur territoire palestinien ; v- Jérusalem capitale unifiée d'Israël ; et, vi- déclaration définitive de la fin de l'état de guerre et renonciation à toutes autres réclamations ". C'est là qu'on se rend compte que si M. Obama a reçu le message des récentes révolutions dans le monde arabe, il en a eu une interprétation très particulière, pour ne pas dire parfaitement erronée. La question que l'on est en droit de se poser est, en effet, la suivante : y a-t-il quelque chose de changé dans ce discours, et dans les thèses israélo-américaines ? En fait, il est clair que le président américain et le Premier ministre israélien jouent leurs partitions en parfaite harmonie : selon le proverbe tunisien, ils sont comme ces deux oiseaux dont l'un chante tandis que l'autre lui rend son écho : le Premier ministre israélien chante à Jérusalem son couplet en six mesures, et M. Obama, à Washington, s'empresse de lui faire écho de la même homélie, connue depuis près d'un demi-siècle déjà. Pendant que M. Mahmoud Abbas se fait rabrouer par le Président américain et ce dernier menace l'Autorité palestinienne de lui couper les vivres si elle prenait des initiatives par trop aventurées. N'est-il pas, enfin !, grand temps pour que M. Abbas et l'Autorité palestinienne se décident à se rendre compte que maintenant, le petit jeu des fausses négociations, qui se prolongent indéfiniment pour donner le temps à Israël d'inscrire dans la réalité des faits tout son plan d'annexion de la terre palestinienne, doit prendre définitivement fin et qu'ils doivent chercher une alternative sérieuse à ces négociations fallacieuses, trompeuses et inutiles ? Doivent-ils, donc, continuer de se laisser manipuler avec autant d'insouciance par le duo américano-israélien et compromettre ainsi, définitivement, la cause sacrée de leur peuple ? De son côté, M. Obama, qui a reçu le Prix Nobel de la paix pour des paix qu'il n'a pas faites, qui annonce avoir compris le message des récentes révolutions arabes, mais qui fait exactement comme avant, a-t-il réellement compris que ces révolutions ont eu pour effet de montrer que les peuples sont parfaitement capables de prendre leur destin en main, sans avoir besoin d'aucune intervention étrangère et que le jour où ils le décident, ils sont capables de déplacer des montagnes. C'est cela le message véritable de la révolution populaire en Tunisie, en Egypte, aujourd'hui, en Libye, en Syrie, au Yémen, dès demain. C'est aussi, à partir du 15 mai dernier, jour anniversaire de la Nekba, le message du peuple palestinien : la libération de la terre palestinienne n'est ni l'affaire des Américains, ni celle des Israéliens, ni celle des Arabes, ni même l'affaire des dirigeants palestiniens aujourd'hui, tous usés, pour la plupart corrompus, et ensemble tellement discrédités que personne ne compte sérieusement sur eux pour signer quoi que ce soit de valable au nom du peuple palestinien : l'affaire palestinienne est l'affaire du seul peuple palestinien, qui a pris pleine conscience de cela et qui, le jour de l'anniversaire de la Nekba, a bien compris quel chemin il lui reste à faire pour réaliser dans la dignité, ses objectifs nationaux. A bon entendeur, salut !....