• Réduit à deux jours, vendredi et dimanche derniers, le pèlerinage de la Ghriba n'a attiré cette année qu'une poignée de fidèles. Inédit dans ce lieu sacré et lors d'un évènement connu pour porter chance aux juifs du monde entier… "D'habitude, en ce moment de l'année, trouver une place ici dans la synagogue ou même dans la ruelle donnant sur le fondouk relève de l'impossible. A l'extérieur, les bus de touristes affluant du monde entier remplissaient le parking. Un dimanche comme celui-là, l'animation ne pouvait que battre son plein à la Ghriba. Ce calme plat m'attriste !", s'exclame, résigné, Kadir Hania, gardien du temple depuis quatorze ans. Au lieu de toute une semaine de festivités, le pèlerinage de la Ghriba a été réduit, pour des raisons sécuritaires, à deux jours cette année, le vendredi 20 et le dimanche 22 mai (samedi est jour de shabbat). Kadir a enregistré à peine une trentaine d'entrées à la synagogue vendredi. Il s'interroge : "Comment entretenir dans ces conditions l'édifice construit depuis plus de 2.500 ans ?". Des festivités cantonnées à l'intérieur de la synagogue Certes, le visiteur est surpris par la luxuriance (faïences émaillées et ornements en bois précieux) et le côté pimpant (magnifique bleu-émeraude des panneaux), qui se dégagent des lieux, bâtis après la destruction de Jérusalem par le Babylonien Nabuchodonosor ", en 586 avant l'ère vulgaire", lit-on sur l'un des murs. Impeccable de propreté, régulièrement rénovée et peinte, la Ghriba, censée provoquer des miracles (fertilité, bonheur et santé), bénéficie des dons généreux des juifs lors de la sortie de la Mnara, un baldaquin sur lequel reposent les tables de la loi et les noms des rabbins renommés de Tunisie, dans une joyeuse procession à travers les rues du quartier Erriadh, ex-Hara Essghira. Cette cérémonie, réputée porter chance et bonheur aux pèlerins, n'a pas eu lieu cette année. Les autorités tunisiennes se sont entendues avec Perez Trabelsi, président de la synagogue et de la communauté juive de Djerba, pour que tout se passe à l'intérieur du temple. "Jusqu'à début mai, rien ne présageait un changement dans notre programme. Tout s'est précipité après le 5 mai et les manifestations qui ont suivi les déclarations de l'ancien ministre de l'Intérieur Farhat Rajhi", souligne Perez Trabelsi, Djerbien jusque dans son mode d'expression dominé par l'accent et le dialecte de l'île et sa tenue, une blousa et un sarouel traditionnels, qui nous reçoit dans son minuscule bureau à la Ghriba. Son gendre, Haïm, assis à côté, ajoute: "Nous avons aussi voulu, en choisissant d'éliminer la musique et les chants de nos festivités, signaler notre respect aux martyrs de la Révolution". La Révolution du 14 janvier… Un évènement que Haïm ne peut plus évoquer sans être transporté par une profonde émotion. Faisant partie des 140 juifs de Zarzis, il se rappelle comment ses amis musulmans, commerçants comme lui du souk, ont protégé sa bijouterie. Ses voisins ne l'ont pas oublié, le ravitaillant en produits alimentaires pendant ces quelques jours où les épiciers avaient fermé boutique, lui dénichant même pour sa fille venant tout juste de naître un paquet ou deux de lait. Jamais, il ne s'est senti aussi patriote, aussi attaché à ce pays et à son peuple que pendant cette seconde moitié du mois de janvier 2011 lorsqu'il a participé au comité de protection de son quartier. Des policiers en civil aussi nombreux que les pèlerins Ce que Perez et Haïm ne disent toutefois pas c'est que les quatre voitures libyennes chargées de matériel de télécommunication hyper sophistiqué interceptées à Djerba ces dernières semaines ont poussé le ministère de l'Intérieur à prendre ces dispositions exceptionnelles. Mesures de précaution encore plus justifiées par les derniers accrochages à Rouhia, dans la région de Siliana, entre des militaires tunisiens et un groupe appartenant au réseau Al Qaida du Maghreb, qui se sont soldés par deux morts côté armée et deux autres parmi les assaillants. Voilà ce qui ressuscite chez la communauté hébraïque de Djerba de pénibles souvenirs. Le 11 avril 2002, un kamikaze tunisien fait sauter sa voiture à proximité de la synagogue. Bilan de l'attentat (à l'époque le régime de Ben Ali avait tenté de faire croire à la thèse rocambolesque de " l'accident ") vingt-deux touristes. Quelques centaines de pèlerins avaient quand même fait, cette année-là, le déplacement jusqu'à l'île. Sous haute protection bien sûr. Aussi appuyée que celle remarquée dimanche dernier dans la Ghriba et assurée par les patrouilles des trois corps : garde nationale, police et armée. Des policiers en civil, probablement aussi nombreux que la cinquantaine de fidèles venus essentiellement de France ce dimanche matin, se mêlent discrètement aux touristes. Les visiteurs sont systématiquement fouillés, les journalistes interrogés sur leur identité et leur matériel, comme celui de cette équipe de télé française, minutieusement examiné. "Nous avons connu auparavant des crises et une baisse de fréquentation du pèlerinage selon un cycle de sept à huit ans : à la suite du drame de Sabra et Chatila, après les deux guerres du Golfe et à chaque fois que le climat s'envenime en Palestine. Nous savons que les gens reviendront à la Ghriba l'année prochaine. Plus nombreux encore", parie Perez Trabelsi. Selon le président de la communauté juive de Djerba, généralement, un bon cru de la saison du pèlerinage annonce une fructueuse saison touristique. Il espère pour cette fois-ci ne pas avoir raison…