Par Soufiane Ben farhat Effaré. On est littéralement effaré par le profil d'une partie de nos élites politiques en temps de crise. Le débat sur la proposition de report des élections de l'Assemblée constituante en est témoin. Les dirigeants des partis politiques ont été les plus remarqués à ce propos. Ils se sont chamaillés à tout vent, certains d'entre eux faisant montre d'une immaturité caractérisée. C'est dire si l'échange d'amabilités pointues est de mise. Les uns tirent sur les autres à boulets rouges. D'aucuns s'érigent en accusateurs publics dans quelque tribunal révolutionnaire siégeant dans les délires de leurs chimères. Le spectacle était franchement désolant dès dimanche soir. Le problème est structurel. Il a trait à la genèse même des partis politiques chez nous. Hormis une poignée de partis qui se comptent sur les doigts de la main, il n'y a que d'illustres inconnus, par dizaines. Certains d'entre eux sont des débris. Dopés à souhait, instrumentalisés à loisir, ils ont été emportés dans le sillage du naufrage brutal de l'ancien régime. D'autres sont demeurés intacts mais peinent à se renouveler au niveau de leurs structures dirigeantes. Il y a également la grande catégorie des partis que l'on peut qualifier de fantaisistes. Simple effet d'annonce surfant sur une vague révolutionnaire, ils découvrent à leurs dépens les coûts et aléas de l'engagement partisan. Le problème n'est cependant pas à ce seul niveau. Grosso modo, beaucoup de nos partis ne semblent guère rompus aux règles du dialogue et de l'échange démocratiques. Leurs discours se caractérisent par une dualité binaire, se réduisant à la louange ou au blâme. Dès lors, toute divergence d'opinion entre eux prend l'allure d'un drame. Sur une chaîne télé, un représentant d'un parti a accusé un parti rival d'hégémonisme non déguisé. Un dirigeant de ce parti est intervenu quelques minutes après par téléphone pour s'en prendre au premier responsable du parti adverse. Lequel, bien évidemment, n'était pas sur le plateau. Sur une autre chaîne, deux premiers responsables de deux partis se sont chamaillés toute la soirée durant. Chacun d'eux parlait de l'autre à la troisième personne. Pourtant, ils étaient assis côte à côte. Ils ne se regardaient même pas. Ici et là, les volées de bois vert et les noms d'oiseaux fusaient. A en croire que certains dirigeants de partis n'excellent que dans l'offense polémiste. L'unanimisme semble bien être la maladie infantile de la révolution tunisienne. Le refus de l'opinion contradictoire procède bien d'une culture alambiquée du consensus obligé et à sens unique. Nombre de nos partis traînent de mauvais plis. Ceux-ci rejaillissent sur la classe politique dans son ensemble. On est, chez nous, en plein registre de la polémique excessive et à tout bout de champ. Comme l'a dit le juriste allemand Carl Schmitt, le polémique caractérise le politique. Et le polémique se reconnaît précisément par la polarisation ami-ennemi qui constitue le principe même du politique. Cependant, il ne faut guère trop aller en besogne. Nos partis politiques ne sauraient faire leur la formule de Joseph Prudhomme qui disait : "C'est mon opinion et je la partage". Ils savent que le multipartisme effectif qu'ils réclament à cor et à cri repose sur la diversité des opinions. Parce qu'à la base, il y a déjà une pluralité sociale, que le pluralisme politique se doit de représenter. Autrement, ils se retrouvent dans la logique sourde du bannissement de l'autre et du solipsisme navrant. D'où les risques réels de l'effet boomerang et des retours de flamme. L'essentiel consiste à développer une faculté d'écoute. Parce qu'en soi, l'écoute est une forme de dialogue. Et que la démocratie se conçoit et s'exerce à plusieurs. Ceux qui ont la gâchette facile gagneraient à tempérer leurs ardeurs. Et mûrir l'exemple de Clisthène, l'introducteur de l'ostracisme à Athènes en 508 avant J.-C. Il en fut la première victime, une année après, en 507 avant J.-C.