Par Soufiane Ben Farhat Akram Belkaïd est catégorique. Journaliste algérien, il pourfend volontiers les élites. Sans donner pour autant dans l'auto-flagellation. Bien que le métier s'y prête à loisir, le masochisme n'est visiblement pas son genre. Soit. Et quel trait : "Les élites, qu'elles soient politiques ou économiques, sont le drame du Maghreb. Avec leur petitesse, leur mesquinerie, leur insupportable vantardise et leur esprit de clocher, elles représentent un obstacle de taille pour l'aspiration des peuples à être unis. Il fallait voir les Tunisiens brandir des drapeaux algériens le jour de la chute de Moubarak pour comprendre qu'il se joue quelque chose en ce moment. Quelque chose qui dépasse les enjeux nationaux mais que, malheureusement, la classe politique algérienne, aux affaires ou en réserve, semble incapable de comprendre" (Chronique du blédard, Quotidien d'Oran 10 mars 2011). Le jugement est au scalpel. Certes. Et Dieu sait combien de coups de scalpel ont enfanté de vraies thérapies. Chez nous, spécialement en cette phase démocratique transitoire, certaines élites pensent à haute voix. En se chamaillant. L'autre jour, un groupe d'experts a tenté de synthétiser en quelques mots les faits saillants de notre vécu médiatique. Les sons de cloche ont fusé. Pourtant, ils ont tous fini par souscrire à un diagnostic en deux mots : cacophonie et désordre. Les évidences s'imposent. Un exemple parmi tant d'autres : le bras de fer qui oppose le pouvoir judiciaire, à travers une majorité de magistrats et d'avocats et le pouvoir exécutif, à travers la Commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation (CICM) présidée par M. Abdelfattah Amor. Pour les blouses noires, magistrature rime avec indépendance. Ils refusent dès lors l'empiètement sur leurs prérogatives. Soit leur domaine réservé. En face, les membres de la CICM, dissoute dans un premier temps par un jugement en référé bien que créée en vertu d'un décret-loi présidentiel, s'agrippent mordicus à leur structure et ses prérogatives. Pourtant, ils reconnaissent volontiers que leur travail d'investigation prépare l'action judiciaire. Le différend a pris par moments des allures très acérées. On se tire à boulets rouges les uns sur les autres. Chez certaines de nos élites, la démocratie n'exclut guère les coups fourrés. Selon d'éminents théoriciens, la transition démocratique doit être négociée, voire pactée. Or, par essence, toute transition est une espèce de pont suspendu entre deux mondes différents. Les modus vivendi y procèdent des équilibres précaires, voire des exercices de contorsionnistes. A entendre Guy Hermet "la transition prend figure aussi de situation intermédiaire par nature. D'une part, son résultat n'est pas acquis par avance. La transition implique le risque de retour en arrière vers la dictature en cas d'échec, ou encore celui du blocage de la démocratisation à un stade d'inachèvement…En outre, la transition apparaît en général comme un composé hybride, où les ex-dirigeants autoritaires et les nouveaux responsables démocratiques cohabitent au pouvoir, soit de façon conflictuelle, soit d'un commun accord…En définitive, ce qui importe le plus dans les transitions concerne sans doute leurs modalités multiples. La garantie relative de leur succès se profile lorsqu'elles s'opèrent sous le couvert d'une coalition explicite ou implicite des modérés des deux classes politiques rivales : d'une part les réformateurs s'agissant des ex-autoritaires, d'autre part les démocrates réalistes en ce qui concerne l'autre camp" (In Revue internationale des Sciences sociales, n° 128, mai 1991, p 272). En fait, chaque peuple a ses caractéristiques propres d'exaltation, voire de sublimation. Chez nous, la démocratie par procuration semble avoir la faveur de certaines élites. Tout le monde parle au nom du peuple, s'érige volontiers en mandataire exclusif du peuple. A en croire que nous avons plusieurs peuples plutôt qu'un. Pourtant, le peuple, lui, n'y pige rien. On n'a guère sollicité son avis. Certains croient déceler ses intentions par divination, ou par tacite procuration. Etrange alchimie des révolutions où de petites élites peinent à assumer les grands enjeux ! Dans les faits, cela peut se traduire par de bien embarrassants paradoxes. Comme celui de la transition bloquée entre deux mondes, l'un pas tout à fait mort et l'autre peinant à naître.