Quel régime politique à choisir pour l'avenir ? Une interrogation qui s'impose désormais comme l'une des priorités du paysage politique national d'autant plus que l'élection de l'Assemblée nationale constituante suscite un débat de plus en plus passionnant entre ceux qui sont attachés à la date du 24 juillet et ceux qui épousent la proposition de l'Instance supérieure indépendante des élections de repousser l'échéance électorale au 16 octobre prochain. Hier, le Réseau Tunisie pour les droits, les libertés et la dignité a convié un aréopage de chefs de partis politiques, d'universitaires, de juristes et de militants suivant l'évolution de la vie politique nationale à un débat sondant leurs positions quant au meilleur régime (présidentiel, parlementaire, semi-présidentiel) que les Tunisiens se doivent d'adopter dans le but de concrétiser, effectivement, la transition démocratique. Avec la communication fort passionnante du Pr Sadok Belaïd, ex-doyen de la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis, le débat a démarré à cent à l'heure puisque le conférencier souligne d'emblée : «L'expérience de 55 ans d'oppression, d'injustice sociale, d'autarcie politique ne nous permet pas de penser, un seul instant, à l'instauration d'un régime présidentiel. Nous en avons assez des pratiques de répression et de domination de ce régime. L'essentiel pour nous est de mettre en place un régime parlementaire qui préserve la souveraineté entre les mains du peuple, un régime où le pouvoir émane de la volonté du peuple et demeure sous son contrôle». Quel rôle pour les partis politiques qui essaiment à un rythme effréné en matière d'instauration du régime politique recherché par les Tunisiens depuis le couronnement de la révolution du 14 janvier ? Le Pr Belaïd apporte une réponse aussi claire que décevante pour l'ensemble des représentants des partis politiques participant au débat : «D'après mes déplacements à l'intérieur de la République et d'après mes contacts avec le peuple, je suis arrivé à la conclusion que les Tunisiens n'ont aucune confiance en les partis politiques et qu'ils ont le sentiment que ces derniers ne cherchent qu'à servir leurs propres intérêts aux dépens du peuple et de sa révolution». Un régime en conformité avec les réalités nationales Pour M. Omar S'habou, secrétaire général du Mouvement réformiste tunisien, il y a «un refus catégorique de la part des Tunisiens vis-à-vis du régime présidentiel qu'ils prennent pour le responsable de tous les drames qu'ils ont endurés durant plus de 55 ans. En réalité, ils ont vécu sous un régime présidentialiste qui a dévié sous le président Bourguiba et sous le président déchu de ses objectifs initiaux pour basculer dans la dictature et le déni total de la souveraineté du peuple et de son droit absolu à décider de son destin». Aujourd'hui, avec le triomphe de la révolution de la liberté et de la dignité, les Tunisiens bénéficient de la chance historique de choisir librement et sereinement le régime qui répond aux nouvelles réalités tunisiennes, «un régime semi-présidentiel où le président sera élu directement par le peuple et où le gouvernement sera dirigé par le chef du parti qui remportera la majorité des sièges au Parlement». Et M. S'habou de relever que le Parlement (qui sera issu des prochaines élections) traduira «la réalité de la carte politique en Tunisie, avec toutes ses composantes», exprimant sa conviction que les Tunisiens sauront choisir le régime qui préservera «leur révolution et les prémunira contre toutes les formes de dérives ou de retour en arrière». Hamma Hammami, porte-parole du Parti ouvrier communiste tunisien (Poct), répond avec force et vigueur, réfutant les déclarations du Pr Belaïd et insistant sur le fait que «les citoyens tunisiens rejoignent, de plus en plus, les partis politiques depuis la révolution, convaincus qu'ils sont de l'importance du rôle qu'ils assument en matière de réussite de la transition démocratique et de l'institution d'un régime réellement démocratique et pluraliste qui leur permettra d'exercer pleinement leur droit à l'édification de la Tunisie nouvelle». Sous quel régime, précisément, est-il possible de vivre une démocratie effective ? Le porte-parole du Poct plaide pour un régime parlementaire où le président occupe un poste honorifique, où le Premier ministre est désigné par le chef de l'Etat en consécration de la victoire électorale de son parti et où tous les leviers du pouvoir proviennent des élections, y compris les conseils régionaux, locaux et ruraux. Une ouverture en harmonie avec l'authenticité L'intervention de M. Ali Laâridh, président du Comité constitutif du mouvement Ennahdha, a insisté notamment sur les grandes revendications exprimées par la révolution. Il cite, en premier lieu, la démocratie, la bonne gouvernance, la justice sociale entre les différentes catégories et régions, l'ouverture en continuité avec l'authenticité du peuple et son identité arabo-islamique. Les atouts de la Tunisie pour intégrer le club des sociétés démocratiques sont réels: un niveau d'enseignement et d'éducation appréciable, un épanouissement réel de la femme et un consensus politique sur les constantes fondamentales ainsi qu'une cohésion sociale avérée. «Nous avons besoin d'une démocratie qui se fonde sur les acquis de la modernité dans le cadre d'un débat libre et volontaire où l'Etat respecte toutes les sensibilités et n'oblige personne à épouser une idéologie qui ne cadre pas avec ses choix et ses principes. Une démocratie qui renforce le consensus, participe aux solutions et propose les programmes», dira en conclusion le président du Comité constitutif du mouvement Ennahdha.