La Presse - Entre les partisans du maintien du 24 juillet prochain en tant que date de l'élection de l'Assemblée nationale constituante et les pro 16 octobre 2011, rendez-vous décidé par l'Instance indépendante des élections, la bataille ne fait que commencer. Entre ceux qui pensent que Kamel Jendoubi, président de l'Instance des élections, fait fausse route et ne fait « qu'obéir aux ordres de forces occultes qui ne cherchent que leurs propres intérêts», et ceux qui estiment qu'il n'est pas «homme à se laisser influencer ou guider et que seules des raisons techniques, procédurales et logistiques sont à l'origine du choix du16 octobre», le débat devient de plus en plus passionnant et mobilisateur, surtout qu'il quitte les arcanes des partis politiques et qu'il engage des citoyens, des intellectuels et des universitaires décidés plus que jamais à rompre avec la méfiance et la suspicion qui caractérisent, désormais, le paysage politique national, pour des raisons inconnues et incompréhensibles. Hier, à la salla Al-Hamra, le forum des citoyens indépendants animé par la militante Noura Borsali a donné la parole à ceux qui «n'ont jamais voté, qui n'appartiennent à aucun parti, qui travaillent à l'étranger mais qui suivent attentivement l'évolution de la situation en Tunisie» pour dire leurs sentiments à propos du report des élections de la Constituante ou de leur attachement à la date initiale. Des normes à respecter Mme Borsali devait soulever, en introduisant le débat, certaines interrogations comme celle de savoir si le Premier ministre, M. Caïd Essebsi, était au courant de la décision du report de la date des élections bien avant son annonce dimanche dernier par le président de l'Instance indépendante des élections. Idem pour la concertation entre l'Instance, les partis politiques et le gouvernement avant de prendre une décision. Mme Borsali souligne qu'à la lecture du décret-loi portant création de l'Instance indépendante des élections, l'on ne trouve aucune référence, même pas un petit alinéa, l'obligeant à en référer à quiconque avant de prendre ses décisions. Et pour une fois qu'on dispose d'une commission indépendante, justement de gouvernement et des partis politiques et qui aura la charge de conduire des élections libres, transparentes, démocratiques et conformes aux normes internationales, pourquoi ne pas la laisser fonctionner et mener sa mission conformément aux prérogatives qui lui sont dévolues, loin de toute suspicion? La plate-forme étant lancée, le débat démarre à une vitesse impressionnante avec une question que pose le jeune intervenant Rafaâ Bechaoui : «Y-a-t-il réellement un danger de vide politique au cas où les élections se dérouleraient le 16 octobre prochain, à la lumière des déclarations du Président et du Premier ministre intérimaires soulignant qu'ils partiront le 24 juillet, quelle que soit la décision qui sera prise?» Le report sert-il la transition démocratique et qui peut garantir que le climat d'insécurité qui règne actuellement se détendra de lui même, que l'élection se tienne le 24 juillet ou le 16 octobre? Un avis qui rejoint les propositions formulées par un deuxième intervenant qui appelle à un sondage dont les résultats révéleront les attentes des Tunisiens. «Si on a choisi une date, il faut la respecter — souligne-t-il — avant de se rétracter pour exprimer sa conviction que même dans deux ou trois mois, si l'on opte pour le report, on n'atteindra pas les normes internationales en matière de transparence, de clarté et de compétition réellement démocratique». Les craintes qui accompagnent cet «optimisme démesuré» quant à cet attachement incompréhensible de certains à la date sésame du 24 juillet domineront les interventions de plusieurs participants. Ils sont persuadés qu'il y a une réelle volonté de la part des partis politiques d'induire en erreur et que ceux-ci n'hésitent pas à assurer que les problèmes seront résolus à condition que les élections se tiennent à la date initiale. «Il ne faut en aucune manière bâcler les élections, sous prétexte, comme l'avancent certains, que les erreurs, les oublis ou les lacunes peuvent être rattrapés après», clament-ils en chœur. Veut-on réellement l'instauration de la démocratie? «J'ai l'impression qu'on a chassé Ben Ali et qu'on se dit actuellement ça suffit. Pour moi, la révolution se fait dans la durée et la division actuelle du peuple est un signe de dynamisme et de vitalité intellectuelle. Je fais confiance à une commission indépendante plutôt qu'à des partis politiques qui martèlent quotidiennement des discours angoissants. Je m'aligne aux côtés de ceux qui cherchent à offrir à la Tunisie une place au soleil». Voilà le message de l'artiste Leïla Toubel, un message clair, transparent et qui a le mérite d'éviter les calculs politiciens et les explications trop techniques qui ne font qu'accentuer la peur des uns, et l'angoisse et les doutes des autres. «Qu'est-ce que nous voulons réellement ? Un gouvernement à n'importe quel prix ou l'instauration de la démocratie sur des bases pérennes ?» s'insurge un jeune juriste. Dans le même sillage, une intervenante qui vit en France et suit attentivement l'évolution de la situation en Tunisie appelle à «donner le temps au temps» et précise que «répondre à l'urgence par l'urgence est la pire des choses». Elle conclut en soulignant: «Le jeu démocratique est un exercice qui s'apprend sur plusieurs années. Ayons confiance en l'avenir mais avec beaucoup de vigilance et avec beaucoup aussi d'écoute de l'autre». Et les avis et les opinions des participants au débat entre ceux qui sont «pour trois mois de plus afin que les partis politiques puissent élaborer leurs programmes et nous les fassent découvrir» d'une part, et ceux qui dénoncent les non-dits et les raisons occultes derrière la décision du report d'autre part. «Une décision à l'origine d'une grave crise du fait de l'inexpérience de Jendoubi et de sa non-maîtrise des réalités tunisiennes» Comment les Tunisiens à l'étranger vont-ils s'organiser pour participer aux élections et choisir ceux qui occuperont les 16 sièges qui leur ont été réservés sur un total de 215 sièges? La question est posée par Mohamed Hamrouni qui vit en France depuis plusieurs années et qui pense qu'il y a beaucoup de problèmes logistiques à résoudre avant que les 1.200.000 Tunisiens établis à l'étranger puissent faire entendre leur voix et participer à ce rendez-vous historique. Les problèmes logistiques, techniques et matériels se posent également en Tunisie. «Ainsi, la commission indépendante des élections est-elle appelée à choisir les hommes qui connaissent le plus la Tunisie, jusque dans ses zones les plus reculées et à établir une feuille de route aussi précise que scientifique qui lui permette d'assurer convenablement sa mission », appelle Mondher Ben Salem, cadre et communicateur. Et si le débat lancé à l'initiative du Forum des citoyens indépendants a permis à plusieurs participants de dire ce qu'ils avaient sur le cœur, il n'a pas réussi à trancher entre les partisans du report et ceux qui sont pour le maintien de la date du 24 juillet. Toutefois, la bataille qui ne fait que commencer semble avoir démarré avec un léger avantage (aux points comme diraient les pugilistes) pour les pro-16 octobre prochain. Il est à préciser que le Forum des citoyens indépendants convie ses membres, samedi prochain, 4 juin 2011, à un débat avec le Pr Hassine Dimassi, sur les résultats du sommet du G8 qui vient de se dérouler à Deauville.