• Une bourgade frappée par le dénuement et la précarité Point de départ Mdhilla village. A 30 km vers le sud, Essaguy est depuis la nuit des temps protégée par ses anges gardiens. Des montagnes s'élevant comme des gratte-ciel entourent la bourgade, défient le temps et gardent encore une part de mystère. " A Essaguy, tout dépend de la pluviométrie. C'est pourquoi il y a des habitants sédentaires et des nomades. Ces derniers sont souvent en partance entre les montagnes Torrich et Echareb, en quête de breuvage pour leur bétail", avance mon compagnon. Ouled Mammar, Mgadmia, Njaymia, Ouled Tligène et Ouled Yahia sont les tribus qui peuplent la région préservant le cordon ombilical qui les attache encore aux origines. Malgré les difficultés, ils continuent à cultiver leur jardin, forts en cela de la même conviction : celui qui sème récolte. " Cette région est connue pour ses terres fertiles et ses grandes cultures. Ici, les agriculteurs n'ont pas besoin d'engrais pour fertiliser leurs terres, car elles en contiennent suffisamment. Les dérivés du phosphate nourrissent ces champs, leur conférant un grand potentiel de production. Si Essaguy avait les moyens, elle aurait pu fournir tous les besoins du Sud en orge et en blé. J'en suis sûr . Personnellement j'ai semé un quart d'hectare, j'ai récolté une tonne et demi de blé. Cette quantité est à multiplier par quatre pour une culture irriguée ", souligne Imed, instituteur d'application à l'école primaire de la région avant que le vrombissement des moteurs n'absorbe sa voie la rendant à peine audible. C'est l'œuvre de quatre moissonneuses-batteuses venues du Kef pour assurer la récolte. Une fontaine et des hommes Pendant la saison, certains villageois élisent domicile dans la bourgade pour y construire des cabanes prévues pour conserver les provisions et protéger les hommes d'un soleil brûlant. Hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, tout le monde se mobilise pour la moisson. Ils savent tous que leur survie dépend de la générosité des épis. " Essaguy m'est intensément chère. J'y ai passé mon enfance. Là où je suis, elle est partout en moi. Cette bourgade a tout d'un havre de paix, d'une région où l'on respire frais, où il fait bon vivre, notamment. La rareté de l'eau demeure néanmoins le plus grand des handicaps, l'origine de la misère ". A Essaguy, les champs de blé s'étendent à perte de vue. Les terres sont des plus fertiles. Mais l'eau est une denrée rare et la sécheresse est insupportable. Incroyable, poignant, mais vrai. Les hommes peuvent passer trois jours à attendre une eau salvatrice d'une canicule infernale. La fontaine publique de la bourgade est souvent en panne de générosité et les hommes sombrent dans la panade. C'était le cas à notre arrivée. Mon compagnon me fixe d'un œil et me lance sur un ton amer : " Voilà tout ce qu'on a hérité du régime déchu : pauvreté, soif, précarité et misère. C'est un destin commun à toutes les tribus d'ici. Ces gens regroupés tout près de la fontaine passent souvent trois ou quatre jours à attendre cette eau pour assouvir leur soif et celle de leurs enfants et de leurs animaux. Personne ne s'en soucie, d'ailleurs ", renchérit l'instituteur. Pas loin des cabanes éparpillées çà et là à travers les champs de blé, une charrette attelée à un cheval, une citerne à eau et deux ânes peinent à résister à une canicule ravageuse. En attendant cette eau précieuse qui coulera ou pas d'un robinet avare, les hommes meublent l'attente par des contes hérités des ancêtres. D'une montagne à l'autre, entre enfance et adolescence, les souvenirs s'éveillent, les récits sont nostalgiques et les hommes avouent qu'ils ont vécu leur vie. Passent les heures et la sécheresse demeure. " On a adressé des demandes à tous les gouverneurs de Gafsa et à d'autres hauts responsables relevant de l'ancien régime, pour résoudre le problème de l'eau dans cette région. Ils se sont toujours contentés de promesses mensongères pour nous faire taire. C'est un cri d'alarme que l'on pousse aujourd'hui. On est sur le point d'abandonner ces terres fertiles anéanties par la sécheresse. Tout ce qu'il faut, des puits artésiens et des sondages pour que les hommes demeurent dans cette région et cultivent des terres fertiles. Sans eau, cette bourgade serait invivable. Transmettez le message, parlez de nous. On ne demande pas d'aides matérielles. Une eau courante nous suffit pour voler de nos propres ailes ", confie Bachir Abdallah, un de ces agriculteurs rencontrés près de la fontaine d'Essaguy. Des conditions précaires Essaguy ne manque pas uniquement d'eau courante. Elle est également dépourvue de collèges, d'électricité, de moyens de transport publics et d'une unité de prestations sanitaires. Comme constaté sur place, le paysage fait songer à Kandahar. Près de trente individus entassés dans une camionnette roulant de justesse, débarquent sur les lieux en provenance de Mdhilla village. " C'est un témoignage vivant de notre misère quotidienne. C'est ainsi que l'on fait le trajet entre ici et Mdhilla. On n'a aucun moyen de transport public. Les autorités concernées ont toujours refusé d'accorder à leurs demandeurs des autorisations d'exercice. Les raison de ce refus sont toujours inconnues. Ils nous ont constamment traités en bédouins qui refusent la civilisation. Or ce n'est pas vrai, car la campagne est l'origine de la civilisation. Ils nous ont tragiquement marginalisés mais on n'est pas encore vaincus. Car l'amour de la Tunisie et de nos terres coule dans nos veines. Même s'ils exigent de nous des pots-de-vin pour bénéficier de la subvention de l'Etat pour les fourrages et des moutons pour intégrer temporairement un chantier, nous continuerons le combat pour résister farouchement à ces difficultés quotidiennes. Rien ne nous obligera à quitter nos terres ", souligne Bachir Ben Malek. Tout constat fait, il faut reconnaître que la région d'Essaguy sombre dans la précarité. Des difficultés en gros, dont la plus poignante est l'abandon scolaire auquel sont contraints les enfants de cette région. Sachant que leurs parents sont incapables d'assurer les frais du déplacement ou d'hébergement à Mdhilla. Plus, l'école primaire de la bourgade se trouve actuellement dans un état lamentable et risque l'effondrement. Une volonté de fer La rareté de l'eau et les embarras quotidiens n'ont pas non plus empêché certains de marquer ces terres de leurs empreintes personnelles. Hadj Zitouni Ben Amor Yahiaoui en est un. Cet ancien militant qui élisait, autrefois, domicile au fond des montagnes pour combattre les colons ne bénéficie aujourd'hui d'aucune aide de la part de l'Etat pour subvenir à ses besoins. Pourtant il a produit et continue à cultiver la terre. Près de chez lui et grâce à ses grands sacrifices, le paysage est aussi verdoyant qu'il suscite à la rêverie. Dans le voisinage d'une dizaine de dromadaires, près de cinquante amandiers, de vingt oliviers et de cinquante pistachiers dégagent un air frais et une odeur évanescente racontant la candeur de la région. Il a cultivé ses arbres à la pelle et au seau. Quand il en parle, ses soupirs laissent entendre souffrance et fierté. " Hiiiiih ! C'est toute une histoire. J'ai irrigué ces arbres de ma sueur et de mon propre sang. En vérité, je reconnais que ma femme m'a aidé. Je me tapais des kilomètres pour les irriguer. La rareté de l'eau est mon seul handicap. Si j'en vais eu suffisamment, j'aurais fait beaucoup mieux. L'olivier, l'amandier, le figuier, le pistachier, ces arbres fruitiers poussent bien chez nous. Il suffit de quelques puits artésiens et de certains sondages pour transformer la région en un paradis sur terre. Nous disposons des matières primaires. Mais il nous manque le capital financier et les encouragements de l'Etat. Espérons que l'on vivra des jours meilleurs dans une nouvelle Tunisie privilégiant la justice sociale et l'équité entre les régions".