• Provocations, contre-provocations, Kadhafi mord à l'hameçon et reçoit une deuxième raclée, malgré les conseils de Bourguiba La Presse — Deux idées fixes alimentaient, comme déjà dit, l'anti-américanisme de Kadhafi jusqu'à devenir sa raison d'être à lui, malgré sa volte-face tactique et spectaculaire à partir de 2003 de peur de connaître le même sort que celui de Saddam Husseïn (voir La Presse du 14 juin - «Je t'aime, moi non plus»). La première est, selon lui, que les Etats-Unis sont la forteresse de l'impérialisme et du sionisme et qu'ils sont en train de mener les Xes Croisades contre le monde arabo-musulman. La seconde est que puisque Washington et l'Occident d'une façon générale hébergent et surtout soutiennent les opposants à son régime à lui, il n'y a aucun mal à ce que lui de son côté soutienne tous les mouvements extrémistes qui opèrent sur leurs sols respectifs. Et malgré les conseils de Bourguiba lors du fameux discours de la salle du Palmarium à Tunis en 1972, Kadhafi n'a pas arrêté de défier les Etats-Unis, car, selon lui, ce sont eux qui ont commencé, surtout comme déjà vu lors des accrochages dans le golfe de Syrte le 19 août 1981. La Libye, rappelons-le, faisait partie à cette époque du front du refus constitué par les régimes arabes dit «révolutionnaires» à la suite des accords de Camp David entre l'Egypte d'Anouar Assadate et Israël de Menahem Begin. Front qui a été depuis mis sur l'agenda américano-sioniste comme l'ennemi à abattre. C'est ainsi que tous les régimes ayant constitué ce front ont connu à des périodes plus ou moins rapprochées des problèmes considérables avec l'Occident. Lesquels se sont reflétés négativement sur leur avenir au sein de leurs pays respectifs (Libye, Irak, Algérie, Yémen, Soudan, Syrie). «Eh bien tu auras une raclée» «Eh bien tu auras une raclée» (tekoul triha), avait donc prévenu Bourguiba son «fils» Kadhafi qui voulait défier les Etats-Unis lors du fameux discours du Palmarium. En fin pro-américain depuis le Seconde Guerre mondiale, Bourguiba savait qu'il ne fallait pas défier cette superpuissance mais essayer de gagner sa sympathie, tout en jouant la carte de la légalité internationale. En choisissant le camp de l'Est, Kadhafi n'avait pas assez de flair politique pour prédire son effritement et même de soupçonner son soutien en cachette au sionisme. Mais son admiration penchait plutôt pour la révolution chinoise et son «Grand Timonier». Fervent participant à l'embargo pétrolier arabe (1973), il a toujours su jouer la carte de l'or noir face à l'hégémonie de l'Occident, mais il a dilapidé les richesses du sous-sol de son pays dans la fièvre acheteuse d'armes de tous genres en nourrissant le secret de devenir un jour une puissance nucléaire. C'est connaissant la cupidité de l'Occident et la primauté de ses intérêts matériels sur ses grands principes égalitaires et humanistes qu'il a toujours joué le rôle de l'enfant gâté. Pour lui, aucune punition ne peut tenir tête à un marché juteux. Cela, il le sait très bien. «(…) Kadhafi (…) possède le pétrole et (…) dit Toz fi Amrica (au diable l'Amérique)», a-t-il dit en 1982 à Tunis devant une pléiade d'intellectuels tunisiens. «Utilisera-t-elle l'atome contre nous, eh bien nous mourrons en répétant Toz fi Amrica», dira Kadhafi deux jours plus tard à Tunis, devant les jeunes avocats tunisiens (le 26 février 1982). Figé dans son romantisme politique et idéologique malgré ses 40 ans à l'époque, Kadhafi dira aussi lors de cette rencontre que la VIe flotte US qui mène les Xes Croisades doit être chassée de la région. «Nous devons l'interdire de navigation à nos corps défendants (…) Ils (les Etats-Unis) prennent notre pétrole, nos ressources et nos marchés sont ouverts à leurs marchandises (…) et eux ils nous méprisent à fond et affichent leur totale partialité pour les Israéliens (…) En défiant la Libye ils doivent savoir qu'ils défient l'ensemble de la nation arabe». Lors de ses multiples rencontres avec les composantes de la société civile en Tunisie, ainsi qu'avec des représentants de la classe politique, Kadhafi n'a pas manqué d'exprimer avec récurrence son amertume et sa profonde déception quant à la position des gouvernements et des peuples arabes après les événements de Syrte. Il s'attendait, disait-il, à des manifestations monstres contre les Etats-Unis de la part des peuples dans les différents pays arabes et à ce que les gouvernements défendent l'accès à leurs ports respectifs des navires battant pavillon américain. «Eldorado Canyon», feu ! Il est clair que le «guide» de la révolution du 1er-Septembre n'a jamais pu gober la «gifle» de la VIe flotte US et son arrogance, mais aussi le fait que les Arabes puissent se taire et fermer les yeux sur l'attitude et le comportement belliqueux de l'armée américaine aux portes de leurs pays respectifs. Il continua donc à soutenir les groupes extrémistes attaquant les intérêts des Etats-Unis et ses alliés un peu partout dans le monde. Il le fit tambour battant et le claironnant haut et fort à tous ceux qui voulaient bien l'entendre et ils étaient nombreux, y compris les agents des renseignements des puissances occidentales. Kadhafi, il était clair, voulait s'afficher en tant que leader international de la révolution des masses et pour promouvoir sa troisième théorie succintement exposée dans son Livre vert. Suite donc aux incidents du golfe de Syrte, Washington se dépêcha de prendre des mesures à caractère économique et instaura un blocus économique contre la Libye du colonel à partir du 6 mars 1982. Kadhafi, de son côté, accrut son soutien aux mouvements extrémistes, auteurs de plusieurs actes meurtriers revendiqués. L'anti-américanisme de Kadhafi est poussé à son paroxysme lorsque celui-ci commença à rappeler à l'opinion internationale les crimes des Etats-Unis contre différents peuples en commençant par les peuples américains autochtones (Indiens d'Amérique) victimes de la violence yankee. En 1986, la tension entre Tripoli et Washington monta de plusieurs crans. Le 7 janvier, Washington rompt ses relations avec Tripoli. Le 12 février, la VIe flotte entreprend des manœuvres dans le golfe de Syrte. Le 25 mars un accrochage a lieu entre l'aviation américaine et libyenne. Le 5 avril 1986, une bombe dans une discothèque située à Berlin-Ouest explose, tue trois personnes et blesse quelque 230 autres dont plusieurs soldats américains. Auteurs confirmés de l'attentat, les services secrets de Kadhafi. Ronald Reagan, président des Etats-Unis, donne l'ordre de réagir. L'opération «Eldorado Canyon» est décidée. Le 16 avril 1986 plusieurs points du territoire libyen sont la cible de l'US Air Force dont la caserne de Bab Laâzizia à Tripoli, où réside le colonel, des installations militaires à Benghazi et dans d'autres lieux du pays. Kadhafi l'a échappé belle mais selon les médias libyens, sa fille adoptive y a laissé sa vie. Du côté américain, l'on déplore la perte de deux pilotes. L'attaque suscite une réaction internationale partagée. L'Occident appuyant Washington et le reste du monde la Libye. L'AG de l'ONU condamne, elle, l'attaque considérant qu'elle constitue «une violation de la charte des Nations unies et des lois internationales» (résolution 41/38 avec 79 voix pour 28 contre et 33 abstentions). (A suivre)