Par Foued ALLANI L'absence de réaction immédiate des autorités saoudiennes comme les fois précédentes face au mouvement timide, certes, mais très significatif des femmes au volant, vendredi dernier, dans certaines villes du pays, augure-t-elle d'un assouplissement de la position de l'Etat sur cette question pouvant évoluer vers la levée totale et définitive de l'interdiction de conduire frappant les Saoudiennes ? Probablement oui. Car tout pousse à le croire. Le mouvement de contestation de fin février-mi-mars derniers réclamant plus de liberté et plus de droits politiques en premier lieu. La volonté réformatrice du Roi Abdallah et sa conscience des risques qu'encourt la famille royale au cas où la situation politique du pays resterait bloquée en second lieu. Les tentatives de lever l'interdiction de conduire ne datant pas d'hier (la première remonte à 1990), les observateurs pensent que la pression exercée par ces mouvements et le tapage médiatique qui s'ensuit presque systématiquement, surtout à l'étranger, finiront par forcer les autorités à céder. Le 9 juin dernier, les six Saoudiennes arrêtées puis relâchées après avoir enfreint l'interdiction ont créé l'événement partout dans le monde et mis au grand jour cette injustice flagrante à l'encontre de la gent féminine, partie apparente de l'iceberg des contradictions sociales qui sévissent dans le Royaume d'Arabie, terre des ergs (dunes de sable). Seul pays au monde à interdire à la femme de conduire une voiture, l'Arabie Saoudite fonde en fait sa décision sur des considérations sociopolitiques auxquelles elle confère un caractère religieux découlant d'une interprétation plus imprégnée de traditionalisme social que d'une approche rigoriste de l'Islam, comme ne cessent de le répéter les Occidentaux. Ce qui, en plus de plusieurs autres pratiques «rigoristes», donne une image faussée et on ne peut plus négative des musulmans, déjà assez malmenée. Les sociétés musulmanes n'ont, faut-il le rappeler, jamais eu de telles attitudes d'exclusion envers les femmes en matière de circulation automobile et le problème ne s'est jamais posé même au début du siècle dernier lors de l'apparition des premières voitures en terre d'Islam. Mieux encore, c'est dans les pays musulmans que l'on note une bonne proportion de femmes ayant évolué aux plus hautes sphères de décision (Pakistan, Bangladesh, Turquie, Indonésie…). La position saoudienne a été même sévèrement critiquée par des ulémas de différentes nationalités. Ceux-ci avaient beau rappeler qu'aucun texte religieux n'a évoqué cette interdiction et que même la tradition arabe faisait que les femmes pouvaient conduire elles-mêmes leurs montures et que Aïcha, l'épouse du Prophète, conduisait elle-même sa monture, rien n'a pu convaincre les autorités religieuses officielles du royaume du non-fondé de leurs avis. Dans le sillage du mouvement du 12 novembre 1990 Coutumière au départ, cette interdiction est devenue officielle et a force de loi en 1990 suite au mouvement du 12 novembre de la même année à Ryadh, capitale saoudienne, qui avait à l'époque secoué la société saoudienne, l'opinion mondiale et l'opinion dans les pays musulmans. Plusieurs ulémas avaient pris alors position contre cette interdiction (voir le texte de ces avis religieux argumenté à Al Yaoum Essabaâ n° du 3 décembre 1990). Entre 40 et 50 femmes, dont plusieurs universitaires et plusieurs issues de familles étroitement liées au pouvoir, avaient bravé le 12 novembre 1990 cette interdiction, encouragées comme elles l'avaient expliqué par le fait que les Koweïtiennes, venues en masse après l'invasion de leur pays par l'Irak, conduisaient elles-mêmes leurs voitures sur les routes du royaume. Idem pour les femmes militaires américaines au sein des troupes basées dans le royaume à cette époque-là. Si les contrevenantes ont été verbalisées par la police, elles n'avaient pas été par contre pénalisées, ni traduites devant la justice. Elles avaient été obligées seulement de signer chacune un engagement à ne pas récidiver. Auparavant, les femmes en question avaient signé et adressé une pétition au gouverneur de Ryadh dans laquelle elles expliquaient le pourquoi de leur action et les méfaits de l'interdiction. C'est à l'occasion de ce mouvement que les autorités politiques avaient demandé à leurs homologues religieuses de publier une fetwa (avis de jurisprudence inspiré de la Chariaâ) interdisant aux femmes de conduire une voiture. A l'époque, un imam-prédicateur avait bravé l'interdiction de commenter le mouvement et exprimé son indignation à propos de l'incident. «Aujourd'hui, elles réclament de conduire, demain d'avoir les mêmes droits que l'homme au travail, après-demain elles enlèveront le voile. Ce sera alors la perte de notre société», avait-il dit en substance. Une société secouée par les contradictions «Moi la femme qui ne possède de l'immensité de son univers que la possibilité de se tenir dans l'ombre sur la pointe des pieds afin de voir le monde à travers ma petite fenêtre», avait écrit au début des années 70 (c'est nous qui traduisons) la célèbre nouvelliste saoudienne Faouzia Al Bekr, «décrivant ainsi la condition de sa concitoyenne», avait commenté Oumeïma Khamis (préface au recueil de sélection de nouvelles saoudiennes - Unesco 1996). La Saoudienne souffre en effet des entraves d'une société repliée sur elle-même et de plusieurs discriminations entre autres d'ordre politique, et ce, malgré sa participation remarquée à la vie active de son pays (depuis 2001 y est organisé le Forum national des femmes). «Les Saoudiennes veulent les droits que l'Islam leur a donnés», avaient martelé des militantes saoudiennes, en se référant à plusieurs exemples de leurs congénères en terre d'Islam et en Arabie même, les épouses du Prophète en tête et la première présidente de municipalité dans l'histoire en seconde position (nommée par le second calife Omar au VIIe siècle) à Médine. C'est en fait la famille saoudienne dans sa totalité qui souffre de la rigidité de la société et de sa structure patriarcale imprégnée de tribalisme. Plusieurs problèmes sont en train de la ronger (la société), révélant ainsi un grand malaise sur fond de contradictions accumulées depuis des décennies. Celles ayant transfiguré le pays avec des écarts énormes entre les possibilités matérielles et les limites socioculturelles et politiques. L'on peut citer le mariage forcé (dont souffrent les garçons et à une proportion plus élevée que les filles), l'augmentation alarmante du taux de divorce, la tendance remarquée aux relations sexuelles hors mariage… C'est donc pour éviter une explosion sociale que les autorités seront amenées tôt ou tard à lever l'interdiction de conduire. Cela leur permettrait de se concentrer sur d'autres problèmes plus délicats, tels que l'activisme de minorités chiites, le danger d'Al Qaïda et l'avenir de la monarchie à la lumière de la lutte des clans au sein de la famille royale.