Par Mohamed Ridha BOUGUERRA Entendu récemment, mercredi 29 ou jeudi 30 juin vers midi, sur Radio-Jeunes, un invité de la chaîne en train d'exprimer sa satisfaction à l'annonce de la suppression du concours du CAPES à compter de la prochaine rentrée universitaire. Et notre invité d'ajouter, textuellement, «le CAPES est, phonétiquement, proche de ‘'kabous'' (cauchemar) et il en est un». C'est là un raisonnement d'une déconcertante et confondante ineptie qui n'a d'égal que le caractère démagogique de la mesure commentée elle-même ! Car, il faut le dire franchement et sans user de la langue de bois : la décision de supprimer le CAPES est, sans aucun doute possible, la décision la plus inepte et la plus populiste prise depuis le 14 janvier ! Il est, malheureusement, fort à craindre que par cette mesure irréfléchie, le ministre de l'Education nationale n'ait dilapidé, d'un coup, un immense capital de sympathie que lui valaient, outre sa gestion efficace d'un département sensible en cette période révolutionnaire, son passé de syndicaliste et de militant des Droits de l'Homme ainsi que sa réputation d'universitaire reconnu comme spécialiste de linguistique arabe. Il serait bien dommage que le nom de M. Taïeb Baccouche ne reste dans l'Histoire que comme celui du tombeur d'un diplôme qui assurait jusqu'ici un relatif niveau à notre enseignement et dont la disparition sous la pression de la rue n'ouvre la porte à une baisse certaine de la culture et du savoir chez nos élèves ! Il faudrait reconnaître que l'on se perd en conjectures à se demander quelle mouche a piqué notre premier responsable de l'éducation pour qu'il fasse une pareille annonce quatre mois avant la fin de son mandat ! Car cela est d'autant plus surprenant que cette mesure n'entrera en application qu'au cours de l'année scolaire 2011-2012, c'est-à-dire, en principe, après le départ de l'actuel ministre provisoire dont les fonctions sont appelées à prendre fin au lendemain des élections du 23 octobre prochain ! Rappelons que CAPES signifie «Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement secondaire». Il s'agit donc d'un diplôme délivré aux candidats admis au concours qui sélectionne les plus méritants, dans toutes les disciplines enseignées dans le secondaire, parmi les titulaires de l'ancienne maîtrise et de l'actuelle licence. Il garantit, en quelque sorte, le bon niveau scientifique et pédagogique des futurs enseignants. Ce n'est pas là, d'ailleurs, une invention qui nous soit propre, mais seulement la forme simplifiée, trop simplifiée même, d'un concours beaucoup plus substantiel en vigueur dans le système éducatif français. Pour le recrutement de nouveaux enseignants, le ministre a opté pour le remplacement du concours en question par des critères qui tiendraient compte du niveau scientifique du candidat, du nombre d'années d'études accomplies dans le Supérieur et de sa situation familiale et sociale. Si la discrimination positive dans l'embauche des diplômés chômeurs issus des milieux défavorisés est une pratique à encourager dans le reste de la fonction publique, le niveau scientifique d'un candidat à l'enseignement ne peut se mesurer que sur épreuves écrites et tout le reste n'est que pure démagogie nuisible aux générations futures ! Certes, le CAPES était honni pour les dérives qu'il a précédemment connues sous le régime, mafieux de Zaba et Cie où tout était objet d'un trafic juteux y compris, hélas, le CAPES. Mais est-ce là une raison suffisante pour jeter le bébé avec l'eau du bain, je veux dire de renoncer définitivement au CAPES ? L'image de marque du ministère de l'Education nationale n'aurait-elle pas été davantage réconfortée par une réelle résistance aux tenants de la médiocratie qui, dès le lendemain de la Révolution, réclamaient la suppression du concours avec force gesticulations courant février-mars derniers devant le Département de tutelle ? Des candidats recalés à ce concours national osaient, en effet, proférer à cette date au JT sur El-Watania ces propos que je citai déjà dans un article paru dans Attariq aljedid (n° 222 du 12 mars 2011) : «Je défie quiconque de pouvoir répondre en une heure aux questions posées aux candidats. Un docteur d'Etat n'y arriverait pas !» Ou encore : «Pourquoi nous faire subir encore des examens alors que nous sommes déjà titulaires d'une maîtrise?». Il y avait alors un véritable effort pédagogique à faire afin d'expliquer les enjeux éducatifs mis en danger par la disparition du concours ici incriminé. Ce qu'il y a à défendre ici, en effet, ce sont des valeurs qui ne peuvent souffrir aucune remise en cause : le sens même de l'effort et le nécessaire souci de la qualité de notre enseignement et de nos futures élites d'abord. Dans le monde d'aujourd'hui en perpétuelle transformation, tout un chacun est tenu, ensuite, de suivre l'incessante évolution technico-scientifique et de se soumettre à l'indispensable exigence de continuellement chercher à se surpasser plutôt que de se limiter au minimum de connaissances ! Aussi nous fallait-il convaincre d'urgence les manifestants du ministère de l'Education nationale et tous nos jeunes qu'une maîtrise est loin d'être le summum du savoir ! Enfin, pour départager équitablement des dizaines de milliers de candidats pour seulement quelques centaines de postes chaque année, un concours qui sélectionne les plus méritants s'impose obligatoirement car unique solution pour barrer la route au favoritisme si largement pratiqué sous l'ancien régime. C'est là, sans doute, la solution la meilleure afin de concilier justice sociale et qualité du savoir à dispenser. Au nom de l'intérêt général et de celui des générations futures en particulier, nous appelons donc vivement M. le ministre de l'Education nationale à revenir sur une décision où démagogie rime avec médiocrité, une décision surtout préjudiciable à la Tunisie de demain à laquelle nous aspirons, une Tunisie où un enseignement de qualité sera garant d'un peuple ouvert, moderne, rationnel, à la page, juste et démocratique.