Par Yassine Essid More brain, O Lord, more brain!Georges Meredith L'univers politique n'a pas cessé de nous offrir depuis le 14 janvier le spectacle le plus insolite et le plus passionné, les alliances les plus éphémères et le plus contradictoires, les initiatives les plus surprenantes voire les plus irréfléchies. La dernière décision en date et incontestablement la plus absurde, est celle qui appelle à la négation de toute forme de normalisation avec Israël. Ce ne sont pas là de simples slogans politiques comme il y en a eu tant depuis cinquante ans, par lesquels nous avions exprimé notre solidarité indéfectible avec les frères palestiniens, salué leur résistance et déploré leurs victimes, mais une décision absolue, figurant dans un «pacte républicain», lequel servira de base à la future Constitution. Il s'agit en fait d'inscrire dans la nouvelle Constitution de la République Tunisienne l'exclusion pure et simple de tout avenir diplomatique entre la Tunisie et l'entité juive; un texte censé poser, d'abord et avant tout, les fondements de l'organisation des pouvoirs publics, fixer les principes du vivre ensemble et donner une réponse convaincante et rassurante aux nombreux problèmes de notre société et non à engager pour l'éternité notre conception des relations internationales en renforçant la non-reconnaissance d'un pays par une légitimité constitutionnelle. Ce jugement, qui relève plus de l'idéologique que du politique, tout bon à conforter certains dans leur nouvelle posture de révolutionnaires, me rappelle l'attitude, tout aussi stupide, qui avait accompagné la détérioration des relations tuniso-libyennes suite à l'expulsion violente de 50 000 émigrés tunisiens de Libye en 1985. Pendant toute la durée de la crise entre les deux pays, le présentateur du bulletin météorologique de la télévision nationale avait tout simplement masqué la Libye sur la carte qui illustrait ses prévisions. C'était, dans son esprit, une manière de nier l'existence de ce voisin imprévisible en le rayant tout simplement de la surface de la terre. Aussi radicale soit-elle à l'échelle de l'espace, cette attitude demeurait à l'échelle du temps le résultat d'une hostilité passagère. Les relations entre les deux pays rétablies, la Libye retrouva comme par enchantement toute sa place, et dans le concert des nations et par rapport au temps qu'il fera. La reconnaissance de l'Etat juif et de son droit à l'existence a été depuis toujours l'une des pierres d'achoppement du conflit israélo-arabe. Ce droit fut consacré par la résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU aussitôt rejeté par les pays arabes, mais implicitement reconnu dès 1982 par le plan arabe de paix qui garantit le droit de vivre en paix à tous les Etats de la région. Les Palestiniens eux-mêmes ont renoncé à leur intention de détruire Israël et de jeter les Juifs à la mer. Malgré les déboires politiques, les voies de la paix ne furent jamais irrévocablement bloquées et un jour ou l'autre une solution durable prévaudra même si pour l'instant toute prévision exacte paraît hors de portée. Certes, la non-reconnaissance est un moyen auquel on a recours pour faire pression sur un Etat et réaliser ainsi des objectifs politiques autrefois réalisés par les armes. Elle peut également servir comme une sanction contre un Etat coupable d'agression. Devons-nous pour autant aller jusqu'à inscrire cette non-reconnaissance dans la Constitution pour prouver au monde que nous sommes solidaires des Palestiniens ? Contrairement à nombre de régimes arabes, qui avaient fait de leur soutien à la cause palestinienne un instrument d'oppression de leurs peuples, nous avions toujours su garder une attitude mesurée sans jamais cesser de dénoncer cette terrible injustice de l'histoire, perpétrée par un Etat expansionniste qui maintient tout un peuple dans une prison à ciel ouvert au mépris des droits humains les plus élémentaires. Sans aller jusqu'à nous substituer aux Palestiniens eux-mêmes, nous avions toujours œuvré pour que le droit des Palestiniens à un Etat indépendant et souverain soit reconnu. Il y a cependant une différence entre ce qui participe de la politique étrangère d'un pays et ce qui relève de sa loi constitutionnelle. Qu'adviendra-t-il de cet engagement pompeux et de cette intransigeance factice le jour où Palestiniens et Israéliens concluront la paix ? Va-t-on organiser un référendum pour abroger l'article de la Constitution, ou continuerons-nous notre chemin dans une opposition encore plus farouche cherchant d'autres motifs pour nous montrer encore plus intransigeants? Sauf à préserver les intérêts économiques et stratégiques, il n'existe pas de devoir international de reconnaissance qui obligerait un Etat à reconnaître un autre au point d'en faire une disposition constitutionnelle. De plus, Il y a des raisons sérieuses pour mettre en doute l'efficacité de la non-reconnaissance formelle si elle n'est pas appuyée par de sanctions économiques ou militaires, ce que les Arabes n'ont pas les moyens d'entreprendre. Enfin, pourquoi invoquer Israël ou tout autre pays? N'est-il pas plus raisonnable, si l'on tenait vraiment à ce que cela figure dans la Constitution, de se contenter d'affirmer simplement de ne pas soutenir de quelque façon que ce soit un pays portant atteinte à l'humain et à la paix entre les nations? Mais cette matière n'est-elle pas déjà inscrite dans toutes les conventions et chartes internationales dont nous sommes signataires ? Pour les quelques irréductibles qui pensent avec leurs émotions, rappelons que l'histoire ne nous permet pas d'anticiper l'avenir, mais associée à la raison, elle peut nous aider à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. En regardant toutes les occasions ratées par les Palestiniens et les pays qui les soutenaient depuis le discours de Bourguiba à Jéricho, l'histoire nous apprend à quel point cette politique fut préjudiciable aux Arabes, écoulant leurs énergies et leurs richesses au détriment des défis insurmontables qui n'ont jamais cessé de les assaillir. Aussi, faut-il se garder d'insulter l'avenir et se résoudre à ne rien exclure, y compris la paix avec Israël. Dans un poème célèbre intitulé «Modern Love», Georges Meredith demandait pour la femme un peu plus de cerveau. C'est ce qu'il faudrait invoquer pour qu'obtiennent aujourd'hui celles et ceux qui ne sont même pas mandatés pour décider à notre place.