Un vieil ami m'a raconté qu'il était sorti récemment de chez lui à 23h00 pour acheter de l'eau minérale, et il n'a pu en trouver que chez un épicier, à deux dinars la bouteille de deux litres : c'était à prendre ou à laisser! Pour ceux dont le rêve est d'avoir l'eau courante et tous ceux qui, comme moi, lorsqu'ils ont soif, ouvrent le robinet et boivent un verre d'eau avec délectation en remerciant le Seigneur de ce bonheur, acheter de l'eau en bouteille est un comportement totalement incompréhensible... Mais, au fait, mes enfants ne boivent que l'eau en bouteille, et lorsque nous faisons les courses, mon époux et moi, c'est l'eau qui prend le plus de volume dans la voiture et qui nous demande le plus d'effort. De mon temps, boire de l'eau minérale était un luxe. Lorsque, parfois, avant un repas, on était obligé de sortir, c'était pour acheter du pain. Désormais, c'est pour acheter de l'eau minérale. Quel est le budget eau d'une famille tunisienne moyenne? C'est dire combien ce phénomène est devenu une sorte de «nécessité». Est-ce justifié ? Non, non et trois fois non : aucun argument solide en faveur de l'eau en bouteille ne tient la route. Rappelons pour mémoire que l'eau est sacrée dans notre culture : «Nous ne te croirons pas, à moins que tu ne fasses jaillir de la terre une source d'eau vive ; ou à moins que tu n'aies un jardin planté de palmiers et de vignes, et que tu fasses jaillir des torrents au milieu de ce jardin» (Sourate Les Fils d'Israël, v. 92 - 95). Notre pays produirait 6 millions de bouteilles par jour, soit plus de 2 milliards de bouteilles par an et, avec la crise libyenne, cette quantité est devenue insuffisante. A travers le monde, la consommation mondiale d'eau minérale en bouteille a augmenté de près de 60% depuis 1999. Aucune explication plausible ne justifie ce phénomène de mode, sauf peut-être les intérêts économiques des grands groupes financiers. A travers le monde, l'eau en bouteille coûterait de 200 à 10.000 fois plus cher, en fonction des régions, que l'eau de robinet, en tenant compte de l'énergie utilisée pour sa mise en bouteille et pour sa mise sur le marché, transports inclus. La consommation d'eau minérale en Inde et en Chine connaît une augmentation vertigineuse en valeur absolue. C'est en dizaines de milliards de bouteilles par jour qu'il faut raisonner, mais les ressources en eau minérale de la Tunisie et dans le monde entier ne sont pas inépuisables et beaucoup se permettent de vendre de l'eau de robinet enrichie de minéraux... Ils oublient simplement parfois de le mentionner. Les conséquences de cette évolution des mœurs dans les sociétés sont colossales en termes économiques, énergétiques et écologiques. Elles sont au moins proportionnelles aux bénéfices dégagés par les groupes industriels qui ont créé ce besoin et l'exploitent sans retenue. Plusieurs endroits de notre beau pays sont devenus des dépotoirs de bouteilles en plastique. Et, même si le recyclage n'est pas la solution idéale comme beaucoup le pensent à tort, qu'avons-nous prévu pour recycler les 2 milliards de bouteilles produites chaque année? Notons, au passage, que la dégradation d'une bouteille peut durer jusqu'à 500 ans! Les bouteilles en plastique sont faites en polyéthylène téréphtalate, un dérivé du pétrole. L'incinération de ces bouteilles est dangereuse et entraîne l'émanation de métaux lourds‑: il est donc impératif de penser à d'autres solutions. La consommation d'eau en bouteille n'est donc pas sans conséquence sur notre environnement, car elle nécessite de l'énergie pour l'acheminement et la fabrication des bouteilles, contrairement à l'eau de robinet qui bénéficie la plupart du temps d'un système de distribution beaucoup plus rentable et moins énergivore. Les industriels de l'eau gagnent indûment un argent fou. Les campagnes publicitaires vantant les bienfaits des minéraux, du magnésium, du calcium et de je ne sais quelles autres substances bénéfiques qui se trouveraient en grandes quantités dans telle eau, les qualités amaigrissantes d'une autre eau, ne se basent sur aucune preuve scientifique validée dans le monde médical. Les publicités d'eau minérale montrant des bébés, des sportifs ou encore des célébrités ont atteint et même dépassé leur but. Mais quel est le prix que devra payer le monde pour ce «luxe» qui n'en est pas un? Sommes-nous conscients que nous nous sommes fait piéger par des embouteilleurs bien organisés qui ont réussi à mettre la société en bouteille. Alors, en tant que citoyens consommateurs, disons à nos embouteilleurs nationaux : l'eau n'a pas de prix, elle a, certes, un coût, alors ne l'achetons pas et ne la vendons pas non plus... Soyez «révolutionnaires», établissons un pacte gagnant-gagnant, mettez à la disposition de vos concitoyens une eau potable de qualité à un coût accessible, prévoyez des mécanismes de gestion de vos déchets, en un mot, regardez loin!