Mhamed el Mhamdi, étudiant à l'institut des Beaux Arts de Sousse en quatrième année Arts-Plastiques option sculpture, a présenté le mois dernier, dans le cadre des Jeptav, Journées d'études, de pratiques théâtrales et arts visuels, une performance artistique. Organisé chaque saison par l'école-même, depuis quelques sessions annuelles, cet événement représente pour les étudiants-artistes une opportunité et des circonstances pour laisser libre cours à leur créativité, leur inventivité et leur imaginaire, tout en gardant un rapport avec les propositions de thématique des Jeptav. Autour de réflexions axées sur le «corps et espace», une fusion artistique interdisciplinaire voit le jour chaque année universitaire à l'Isbas, qui a instauré par sa fondation et son accueil des Jeptav, ce caractère polymorphe et «multicouches» propre à toute conception contemporaine de l'Art. Louable et honorable vocation scientifique, pédagogique, voire didactique que l'université sahélienne a installé en ses murs, et que Mhamed el Mhamdi a voulu mettre en valeur et en relief, en témoignant de ses expressions individuelles, élargies à l'état d'abords communs. Pour ce faire, Mhamed a fait appel à une équipe d'acolytes, également étudiants en arts, issus d'une même structure universitaire, tels qu' Ahmed Harmessi qui a collaboré avec lui pour la mise en place de l'idée et la conception de la performance, Abdelaziz Dziri, Saif Eddine Chelli, Zied Saltèn, Slim El Mhamdi et Abir Sfar pour le «staff» technique, l'ensemble sous les yeux de Mounir Boussetta qui était quant à lui logé à la caméra. Mis à part sa spécialité de formation sculpturale et autres proximités avec les pratiques de la peinture et de la photographie, Mhamed el Mhamdi voue des tendances affirmées au champ performatif. Il y saisit l'action d'une essence et d'une irruption corporelle comme possible territoire de correspondance entre les arts. Pour sa conscience et à ses yeux, «l'acte performance», avec ses attributs et ses particularités, représentait une réponse au sujet de la manifestation en question. Certes, de par son caractère interdisciplinaire universel, la performance ou «happening» de l'anglais «to happen» sémantiquement comme «ce qui se passe ici et maintenant», est une œuvre visuelle en rapport direct et avec le théâtre et avec les arts-plastiques. Attelé à cet ouvrage, Mhamed dit avoir réfléchi le jeu sur la notion du temps dans la performance, comme l'un de ses atouts incontestés, aucun des spectateurs ne sait exactement à quel moment la performance va commencer, le jeu d'acteur qui a duré plus d'une semaine témoigne du jeu sur la notion du temps établi dans l'œuvre, pour évoquer le thème du suicide de l'artiste ou l'intellectuel. Malgré ces minutieuses préparations avant leur passage à l'acte, sans aucun doute délibéré après maintes et maintes considérations, Mhamed et ses compères ont eu une suite de problèmes venant d'une incompréhension du public, déteinte sur les esprits universitaires. Pour mimer la radicale autodestruction de l'artiste, ils ont pensé à la symboliser dans une simulation de pendaison. Après une interprétation de quelques instants, Mhamed, s'est jeté dans les airs du haut d'un étage faisant croire à sa mort volontaire. Emotions, choc, provocation et même perte de connaissance se sont succédé, donnant lieu à de fausses lectures. Pourtant, l'audience se devait d'être averti, ce projet ayant été encadré par un assistant des lieux et approuvé par son administration interne. Cette même administration qui a voulu congédier les étudiants performers, en tombant dans le leurre de la déformation du discours artistique et plastique. Mhamed parle même de «tsunami» de rumeurs après la performance, forte de son réalisme qui l'a sans doute dépassé. Cependant, nous ne pouvons sanctionner pareille prise de position et pareil engagement intellectuel. Certes, la performance malmène, irrite, ne laisse en aucun cas indifférent et dans la tiédeur des sentiments, mais de là à vouloir sanctionner par le renvoi définitif un collectif de jeunes gens portés par leurs croyances intérieures, et leur foi en la création et en la liberté d'expression... Fort heureusement, aidé par l'Ugtt qui, continuellement, soutient les pénibles causes où des étudiants tunisiens se retrouvent minoritaires et en situation de faiblesse, soutenus par divers sympathisants des libertés cérébrales, Mhamed et son groupe ont réussi à faire entendre leurs voix. Leurs carrières estudiantines ne sont plus menacées, peut-être auraient-ils instauré les possibilités d'un apport pragmatique du happening sous nos cieux, et dans nos écoles? Cet art où le champ d'action se veut sans limites, est une fragmentation de l'«etablishment» qui se fait au niveau du douillet et de l'acquis. Une présentation qui met au-devant de la scène les prémices d'une activité souterraine, celle d'un «art-action» où un syndrome rend le devenir de l'être artistique évidence d'un outil. La performance est telle une poïétique de l'accomplissement «privé», pour que la question du corps se fonde dans le passage à l'acte, et pour que la perception du visiteur dialogue avec une scénographie de l'installation plastique. La performance est un «rendez-vous» précis, lancé au regardeur. Dès lors, avancer des productions artistiques, qui se réclament et enregistrent l'ensemble de ces principes, est un atout pour le droit inné de chaque artiste, étudiant, amateur ou professionnel, à agir et réagir selon des méthodes qui obéissent à la pratique que lui seul a décidé d'emprunter. Il semble important d'encourager toute forme d'engagement spirituel, qui donne lieu à une réponse immatérielle, physique et concrète. Dans sa nudité de l'instant, Mhamed El Mhamdi a manifesté un besoin de dire. A travers les enseignements qu'il a poursuivis quatre années durant à l'Isba de Sousse, il était sans doute prêt à le faire. A travers les voies artistiques vers lesquelles il se dirige, il le fera encore sans affres et scepticismes aucuns.