Par Dr Moncef Guen(*) Le discours que vient de prononcer le Premier ministre devant un certain nombre de partis est révélateur. Il a passé en revue plusieurs problèmes de l'heure : bilan surtout politique de l'action de son gouvernement, organisation des élections de l'Assemblée constitutive, situation très précaire du pays, corruption et réforme du système judiciaire. Mais il a consacré seulement une minute à la conjoncture économique en mentionnant la hausse vertigineuse des prix et l'accent à mettre sur les régions déshéritées. Une minute sur trente-six, consacrée au sujet brûlant de l'économie et du chômage des jeunes. C'est peu, très peu. De la part d'un homme d'Etat comme le Premier ministre, cela est difficile à comprendre. Peut-être, les problèmes qu'il considère urgents, comme l'ordre public, prennent-ils l'essentiel de son attention ? Peut-être le problème de la corruption dans le système judiciaire, objet de manifestations populaires importantes, domine-t-il l'actualité ? Peut-être sa formation et son background n'en font pas un homme intéressé par le développement économique ? Mais au moment où l'économie du pays est sur le bord de l'effondrement avec une stagflation, combinaison de la stagnation économique et de l'inflation accélérée, un chômage croissant, une diminution rapide des réserves de change, ce sujet aurait dû retenir l'attention du Premier ministre et de son audience pour au moins un bon quart d'heure. Des questions fondamentales se posent, et auraient dû être traitées, telles que l'analyse des méfaits du modèle économique obsolète de l'ancien régime. Pourquoi nous sommes là où nous sommes : en 2010, Singapour a réalisé un taux de croissance de 14,5% et la Tunisie, 3,5% soit plus de quatre fois inférieur. Singapour a eu un produit intérieur brut par capita de 43.117 dollars US en 2010 et la Tunisie, 4.200 dollars US soit dix fois moins. J'ai pris l'exemple de Singapour mais j'aurais pu prendre celui de la Corée du Sud ou de la Malaisie, pays qui, au milieu du siècle passé, étaient au même niveau de développement économique que la Tunisie. Bien plus, la Corée du Sud était en pleine guerre avec la Corée du nord, appuyée par la Chine. Des questions fondamentales se posent telles que le chômage des jeunes qui gonfle tous les jours. Comment confronter ce problème crucial qui a été l'un des détonateurs de la révolution tunisienne et qui, s'il n'est pas courageusement résolu, sera l'un des détonateurs d'une deuxième révolution tunisienne. Ce gouvernement aurait pu, au moins, organiser des états généraux sur le plein emploi dans la Tunisie nouvelle. Ebaucher des prémices de solution, n'est-ce pas là le rôle d'un gouvernement de transition ? Plus généralement, engager un dialogue national sur le futur modèle de développement de la Tunisie nouvelle aurait pu être mené avec les partis politiques et la société civile. Doit-on attendre une nouvelle Constitution pour discuter entre nous et aussi largement que possible des problèmes vitaux de notre économie ? Les grèves et les sit-in ne doivent pas empêcher un dialogue national sur de tels sujets aussi fondamentaux. Ce dialogue aurait pu être lancé au niveau régional et local pour monter ensuite au niveau national. Qui l'organiserait ? Les ministères du Plan et des Finances, qui auraient dû être fusionnés depuis belle lurette, comme nous l'avions fait dans les années soixante. Toutes ces questions auraient pu être confrontées aux mois de mars et avril derniers. Il reste très peu de temps pour les confronter sérieusement avant les élections. Mais mieux vaut tard que jamais. Le Premier ministre devrait s'entourer de conseillers économiques compétents, et la Tunisie n'en manque pas, pour l'aider à planer sinon plancher sur notre économie nationale. Dr M.G. (*)Ancien secrétaire général du Conseil économique et social et consultant international