Aujourd'hui, cela fait très exactement 500 jours que Mourad Zeghidi a été arrêté. Mourad Zeghidi n'a jamais été un journaliste à scandales, il n'a jamais été amateur de coups de gueule spectaculaires. Méthodique, méticuleux, modéré même, il a toujours privilégié l'information documentée aux coups chocs, la mesure au sensationnalisme, le factuel aux pièges à clics. Et pourtant, il est derrière les barreaux. 500 jours d'arrestation, et le signal envoyé est clair : dans ce pays, le simple fait de bien faire son métier — avec sérieux et éthique — peut devenir un acte subversif.
500 jours après, Mourad « assume » toujours. Il assume avoir fait son travail en toute âme et conscience, avoir rêvé grand pour ce pays et nourri des projets ambitieux. Peu sûr qu'il ait encore envie de s'y battre une fois sorti de cette prison où on l'a injustement enfermé. Diffusion de fausses informations et évasion fiscale : ce sont ces plaintes fourre-tout grâce auxquelles il est possible de transformer n'importe quel honnête homme en un dangereux criminel.
Le journalisme devenu acte de résistance Nous n'avons pas oublié. Pendant ces 500 jours, la peur et la mort dans l'âme — celle d'être les prochains — a animé chaque journée des journalistes du pays. L'idée qu'on n'ait pas besoin de franchir une ligne rouge pour être arrêté, de commettre une erreur ou de montrer une quelconque mauvaise foi pour être mis hors d'état de nuire, plane désormais sur chaque rédaction. Dans ce théâtre où l'injustice se maquille en justice, être méthodique est devenu un risque, et la simple volonté d'informer se transforme en acte de résistance. Depuis ce sombre 11 mai 2024, la presse n'est plus la même. Plusieurs journalistes et médias ont changé de ton, les émissions critiques et polémiques ont disparu du paysage, et de nombreux chroniqueurs connus pour leur franc-parler ont décidé de temporiser, en attendant des jours meilleurs. L'heure n'est plus à la critique ni à la polémique. « J'ai une famille et des enfants », avaient-ils dit. Seules quelques rares voix perturbatrices ont tenu bon, dans un climat qui ne leur garantit ni liberté demain ni lendemain.
Le symbole de tous ceux que l'on veut faire taire Mourad Zeghidi n'est pas le seul à avoir été injustement arrêté, condamné et emprisonné. Ce même-jour, Borhen Bsaies a été lui aussi mis derrière les barreaux pour les mêmes faits, les mêmes accusations. Mais s'il attire autant l'attention, c'est qu'il est devenu le symbole de tous ces journalistes, chroniqueurs et acteurs politiques jugés trop subversifs pour continuer d'exister. Beaucoup d'entre eux croupissent derrière les barreaux, et nul ne sait quand ils en sortiront. Ce que l'on sait, en revanche, c'est qu'une fois libres, ils ne seront plus jamais les mêmes. Ils auront perdu foi en ce pays qu'ils pensaient défendre, et en ce peuple qui semble croire aujourd'hui que « s'ils sont là, c'est qu'ils l'ont bien cherché ».
Les demandes de libération de Mourad Zeghidi et de Borhene Bsaies, pris dans le même tourbillon judiciaire, sont rejetées une à une. La dernière date du mois dernier. Les avocats dénoncent « un acharnement judiciaire » et une « détention injustement justifiée », mais rien n'y fait. Les deux hommes resteront en prison pour servir d'exemple. Un exemple pour tous ceux qui pensent encore pouvoir parler, s'exprimer ou écrire librement. Demandez à Sonia Dahmani ce qu'elle en pense.
Des « nuisibles » au cœur d'une stratégie de peur Mourad Zeghidi et Borhene Bsaies sont accusés d'être des comploteurs, des déstabilisateurs, des nuisibles. Ils représentent un danger tel qu'il est jugé trop risqué de leur accorder la liberté. Et même ces deux nuisibles, hors d'état de nuire, n'apaisent pas le pouvoir, qui continue de durcir le ton jour après jour. On parle encore de « pièges », « d'illusions », de « tromperie », d'« impunité », de « honte », d'« illégitimité », mais aussi d'« influences étrangères ».
Si ces nuisibles ont été neutralisés, pourquoi n'assiste-t-on pas à la stabilité promise ? Pourquoi la situation ne s'est-elle pas améliorée ? Pourquoi les discours présidentiels se font-ils plus durs et plus accusateurs chaque jour ? Sommes-nous tous devenus des nuisibles à mettre hors d'état de nuire ? Une chose est sûre : il y aura toujours un avant et un après le 11 mai 2024.