Par Hassen Chaari «Si l'on veut gagner sa vie, il suffit de travailler, mais si l'on veut devenir riche, il faut trouver des idées et seules les bonnes idées font de l'argent» (Alphonse Karr) «La pauvreté est essentiellement politique» (Grameen Bank) Les Tunisiens n'ont découvert le spectre de la pauvreté qui ronge l'intérieur de leur pays qu'après le 14 janvier 2011, date de leur honorable révolution lancée justement par des déshérités, des chômeurs, des exclus, bref des pauvres. En effet, les noms de nombreux villages pauvres n'ont sonné aux oreilles des Tunisiens que quelques jours après la révolution avec ces reportages-télé. qui montraient la misère des gourbis remontant à un autre âge, puisque ne bénéficiant d'aucune infrastructure de base à même de permettre au moins une vie digne. Après la révolution du 14 janvier, les Tunisiens ont compris enfin que la pauvreté dans leur pays est avant tout un problème politique, c'est-à-dire que lorsque le pouvoir de Ben Ali a axé sa stratégie sur l'enrichissement personnel et celui de la classe dominante, avec en plus l'instauration d'un système mafieux qui a généralisé la corruption, il est normal qu'une minorité amasse des fortunes colossales sur le dos des plus démunis. Ajoutons à tout cela l'esprit régionaliste désolant qui a prévalu sur le plan économique depuis plus de 50 ans, et c'est pourquoi des régions entières de l'intérieur tunisien se trouvent aujourd'hui dans la misère la plus absolue. En d'autres termes, nous sommes pauvres essentiellement par notre mauvais comportement général, puisqu'il nous manquait la volonté politique de nous approprier des principes de fonctionnement adoptés par les pays riches et développés (justice fiscale, indépendance judiciaire, démocratie solidaire, volontariat, dons sociaux et culturels…). Paradoxalement, nous ne sommes pas pauvres parce qu'il nous manque de ressources matérielles et financières, la Suisse et la Corée du Sud, pour ne citer que ces deux pays à titre d'exemple, n'en possèdent pas plus que nous, et pourtant elles sont très prospères. En réalité, nous sommes pauvres à cause de notre petit rendement au travail. En effet, à côté de nos qualités incontestables, nous avons hérité aussi des nombreuses civilisations anciennes dont nous sommes le produit, des défauts évidents. Ce que les observateurs externes nous reprochent peut être résumé comme suit : non-respect du temps, tricherie et recherche du gain facile, violence verbale et physique courante, individualisme exagéré, panique rapide, hypocrisie, etc. Ainsi, un député allemand, ami de notre pays, disait dernièrement : «Les Tunisiens ont tout pour former une grande nation, ce qui leur manque pour ce faire, c'est la discipline et le respect d'autrui», c'est-à-dire l'application des lois, des valeurs consensuelles et des règles de bonne conduite. En effet, bien que la Tunisie soit un berceau fécond de civilisations qui a fait preuve depuis toujours de sagesse, de tolérance, d'imagination positive et de capacité d'anticipation, reste hélas cette «indiscipline» néfaste qui nous guette encore et nous tire indirectement vers le sous-développement et la pauvreté. S'agit-il là de l'autocritique destructrice ou de l'auto-flagellation? Pas du tout, c'est plutôt une invitation à tout un chacun parmi nous à une réflexion qui ne peut être que bénéfique pour la vie publique et la cohabitation civilisée dans notre pays. C'est aussi pour ouvrir les yeux de beaucoup de Tunisiens parmi nous pour pallier leurs défauts d'égocentrisme qui peuvent nous coûter cher dans un monde devenu un «village planétaire» où il n'y a plus de place au soleil que pour les meilleurs et les plus disciplinés. Cela dit, il est du devoir de tous les partis politiques qui se battront prochainement pour la prise du pouvoir, ainsi que des associations de la société civile tunisienne, de consacrer une place prépondérante dans leurs programmes politiques et leurs visions économiques aux régions pauvres de l'intérieur et au monde rural longtemps marginalisés, oubliés et meurtris. Car la pauvreté, ce n'est pas seulement la faim, mais aussi le manque flagrant d'infrastructure de base, l'absence de soins médicaux, le non-accès à l'internet, à la culture et aux loisirs … Comme le monde passe actuellement et passera, encore davantage demain, par des turbulences dangereuses dans tous les domaines, nous devons mettre les bouchées doubles pour aller de l'avant en créant toujours davantage de richesses et d'emplois. Pour ce faire, il va falloir déclencher le cercle vertueux de l'amélioration continue qui serait tributaire des facteurs suivants : anticiper les mutations universelles et mondiales, mettre de l'imagination innovatrice dans notre travail et nous déterminer à nous surpasser. De même, l'économie du savoir, la créativité, le développement technologique et l'innovation peuvent, pour leur part, contribuer à conduire notre pays vers la prospérité. Sachant que l'innovation est désormais considérée comme le moteur idéal de la croissance, le levier par excellence pour la création d'emplois à haute valeur ajoutée et le meilleur bouclier anti- crise et anti-récession. Certes, la Tunisie n'a pas de richesses naturelles exceptionnelles, mais notre pays a heureusement de grandes compétences et ambitions qui lui permettront d'échapper aux pièges de la pauvreté tendus par la mondialisation, celle qui attaque sans répit ni pitié tous ceux qui s'endorment sur leurs lauriers. En effet, en travaillant plus, en lisant plus, en stimulant davantage son intellect, en participant plus à la vie publique, à la vie associative, à l'art, à la culture, le Tunisien peut espérer vivre comme c'est le cas déjà dans les pays développés dans une meilleure harmonie sociétale et un civisme collectif bénéfique menant à terme forcément à la création de richesses et à la prospérité.