Par Brahim Oueslati Jamais dans l'histoire de la justice tunisienne le monde judiciaire n'a connu une aussi vive ébullition. Depuis les premiers jours ayant suivi la révolution ça tangue dur entre les différents intervenants dans le pouvoir judiciaire au vu et au su d'une opinion publique incrédule. D'abord la représentativité des magistrats se trouve disputée entre une association qui revendique un passé militant et un syndicat fraîchement créé pour défendre les droits de la profession. L'autre composante du pouvoir judiciaire c'est l'avocature qui, fière du rôle joué dans la révolution, veut continuer à soutenir et à accompagner la transition. Les relations entre les trois parties se révèlent compliquées et l'administration judiciaire représentée par le ministère de la Justice se trouve tirée à hue et à dia et prise pour responsable de cette piètre situation. Chaque partie se prévaut de la solidité de ses arguments et de la justesse de son diagnostic et veut imposer sa démarche pour régler les problèmes de la justice. Sans coordination ni consultation des deux autres parties. On assiste, même, à des échanges vifs, à des accusations et des menaces, et c'est la justice qui en pâtit. Après le projet de décret portant organisation de la profession d'avocat qui a soulevé un tollé chez les autres corporations concernées, c'est autour de cette fameuse liste «‑des juges corrompus‑» que se focalise la polémique, notamment entre l'association et le syndicat. La première veut aller loin dans la traque des magistrats soupçonnés de corruption et de malversation et appelle à un changement radical au sein du ministère de la Justice. Elle a, même, constitué une commission en son sein pour établir «‑une liste noire‑» dont les noms ont commencé à circuler sur certains sites. Elle semble, par là, tenir sa revanche à l'égard des magistrats auteurs du «‑complot contre le bureau exécutif légitime en 2005‑». Alors que le syndicat a adopté une position de principe qui consiste à «‑demander des comptes à toute personne dont l'implication est prouvée dans n'importe quel dépassement, dans un cadre juridique garantissant les droits de toutes les parties‑», mettant en garde contre les «‑listes parachutées qui sont en contradiction avec les garanties d'un jugement équitable‑», par ailleurs qualifié de «‑précédent dangereux‑». Ces bisbilles et chamailleries, jusque-là inimaginables dans un corps de métier aussi respecté que celui de la magistrature, risquent d'avoir de très mauvaises répercussions sur notre justice et de fausser son image, déjà ternie, non seulement auprès de l'opinion publique nationale mais aussi devant l'opinion internationale qui scrute avec beaucoup de soin l'évolution de la transition en Tunisie. Chercher à traîner dans la boue des membres d'une corporation, aussi corrompus soient-ils, n'honore ni les uns ni les autres. Ce genre de lynchage ne pourra pas régler le fond du problème, d'autant plus que nul ne pourra se prévaloir d'une quelconque légitimité ni d'un quelconque droit l'autorisant à jeter l'honneur de ses collègues aux chiens. Mais opérer dans le calme et la discrétion pour «‑dégraisser le mammouth‑» et assainir un appareil serait, à notre sens, plus indiqué et mieux approprié pour rendre aux magistrats leur honneur et rétablir la confiance en cette justice longtemps décriée et bafouée. Car si le citoyen perd confiance dans la justice de son pays, il ira chercher d'autres méthodes pour se faire justice soi-même en retournant à la tribu, à la famille ou au clan. Ou à la loi du talion. Et certaines régions du pays l'ont, malheureusement, vérifié à leurs dépens au cours de ces derniers mois. Pendant ce temps, la justice se trouve soumise aux feux de la critique pour son traitement des affaires du clan de l'ancien président et de sa femme ainsi que celles des symboles de l'ancien régime. Soumise à une pression terrible de la part d'une rue facilement manipulable et des groupes d'individus formés de politiques, d'avocats et autres, elle tient à assumer sa mission en cette étape cruciale de la vie du pays. En toute indépendance et impartialité. Il n'y a pas, en effet, un Etat de droit sans une justice indépendante. Parmi les motifs qui ont entraîné le déclenchement de la révolution, on trouve outre la dignité et la liberté, la soif de la justice. Et tant qu'il y a dysfonctionnement de la justice, il n'y aura pas d'Etat de droit. La réforme de la justice s'avère une nécessité vitale. Pilier de l'autorité de l'Etat, elle est le fondement de la démocratie et la garante des libertés et des droits des citoyens. Cette réforme devra être menée par toutes les parties prenantes, sans exclusive ni accaparation et, en conséquence, contribuer à l'instauration de la quiétude et de la stabilité sociale et du développement économique.