Par Hassen Chaâri* «Celui qui nous trompe une fois, honte à lui; celui qui nous trompe deux fois, honte à nous» Proverbe anglais «L'on a demandé à Erdogan comment fait il pour que le déficit budgétaire de la Turquie soit entièrement maîtrisé depuis son arrivée au pouvoir; il répondit : je ne vole pas» Citation anonyme Pendant 23 ans, Ben Ali et son clan ont pillé le pays, possédé l'Etat, asservi les Tunisiens, transgressé les lois, marginalisé les élites et ignoré la société entière. Ils ont ainsi insulté notre intelligence collective et notre bon sens. Rien que dans l'administration tunisienne, les fonctionnaires, pourtant majoritairement honnêtes et compétents, ont été contraints de ne pas exercer pleinement ni librement leurs prérogatives, comme l'illustrent bien les cas des avocats, des juges ou des ingénieurs. Pendant deux décennies, la force vive de la nation et les élites en général ont été condamnées à la déchéance intellectuelle et la jeunesse au désespoir et à l'émigration clandestine. La pensée économique, elle-même, fut accaparée par quelques piètres experts, soucieux beaucoup plus de décrocher un satisfecit forcé de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) que de réaliser un réel développement durable, juste et équitable pour le pays. Idem, pendant cette période, la culture a été empoisonnée par les ingérences de l'Etat et les interdits en tous genres, l'information muselée et l'université réduite en une coûteuse machine à former des chômeurs, en déphasage flagrant avec le marché de l'emploi. Dans le pays tout entier, nous n'avions plus le goût de lire nos journaux ni nos revues, vu la langue de bois qui leur était imposée par le régime. Tout était mijoté et consacré au profit du clan mafieux au pouvoir. Autrement dit, on était dans un coma intellectuel et politique et tout le monde en était conscient, mais malheureusement la peur et la terreur ont toujours imposé le silence. Pendant 23 ans, la peur a créé le dégoût, la détresse, le mal de vivre et un profond sentiment d'injustice. C'est pourquoi, la révolution du 14 janvier 2011 était logiquement prévisible, ne serait-ce que par l'enrichissement flagrant de certaines familles proches du pouvoir, l'élargissement des inégalités, la précarité des couches populaires et le chômage des diplômés du supérieur; ce qui a suscité globalement la frustration et la révolte. Raison pour laquelle les Tunisiens revendiquent désormais avant tout l'équité et la justice sociales qui étaient absentes surtout dans les régions intérieures du pays. Aujourd'hui, la Tunisie se trouve à un tournant décisif de son histoire après avoir accompli ce qui paraissait impensable, notamment une révolution exemplaire qui a resserré les rangs et nous a doté d'un sentiment patriotique jamais connu auparavant. C'est pourquoi, les yeux du monde entier sont rivés sur notre pays qui est désormais considéré et respecté pour la maturité et la lucidité de son peuple. Malheureusement, la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui la Tunisie, après son honorable révolution, reste grave, car personne ne semble s'inquiéter de la reprise complète du travail dans les secteurs public et privé. Idem, l'activité administrative des fonctionnaires est extrêmement réduite. Pour pouvoir y remédier dans les plus brefs délais, essayons d'opter pour le consensus qui est aussi un des aspects de la démocratie, en rangeant justement la hache de la révolution. Rien que pour le redémarrage réel de notre économie, il nous faut impérativement beaucoup de patriotisme, de tolérance et de solidarité. Il est impératif tout d'abord d'assurer la sécurité des personnes et des biens et ensuite de remettre le pays entier au travail. Autrement dit, il faut dépolitiser, voire sacraliser le travail dans notre pays, pour éviter à notre économie, dans un environnement mondial économique et financier défavorable, les graves risques de la récession qui pourraient nous menacer. Pour ce faire, il est impératif que l'Etat, les nombreux partis politiques et la société civile sachent calmer l'impatience de la rue, irritée et déçue, et la pousser à reprendre sérieusement le travail. C'est justement par son travail, sa lucidité, son amour pour la partie et sa réactivité révolutionnaire que le peuple tunisien pourra garantir à son pays sécurité, paix, progrès, prospérité, et à la fin l'accès au club des pays développés en réduisant son taux de chômage et de pauvreté. D'ores et déjà, la révolution nous fait adhérer automatiquement à une vision progressiste, loin de toutes formes d'obscurantisme avec un réalisme politique serein et audacieux. Notre pays regarde déjà vers un avenir radieux et un lendemain meilleur. Pour ce faire, on voit chaque jour naître et se développer des initiatives, des projets, des partis politiques, des mouvements citoyens et des associations… Les Tunisiens sont ainsi portés par le désir du renouveau, veulent contribuer à l'essor national et s'y attellent. Si tout va bien, l'administration sera demain entièrement au service des citoyens, l'on respectera strictement toutes les règles de la vie publique et de la bonne convivialité dont les feux de la circulation. Chacun sera récompensé selon ses mérites. Chaque citoyen actif payera volontiers ses impôts et l'Etat assurera la bonne gestion des deniers publics… La justice sera indépendante, les élections transparentes, les statistiques crédibles et vérifiées… Ce qui suscite d'ores et déjà l'espoir et l'émotion populaire. La volonté de changer est sans limites, car on respire la liberté, on prend goût à la vie et on a envie de crier, de «vider» son cœur et crever l'abcès. Au lendemain des prochaines élections démocratiques, notre pays connaître sûrement , telle l'Espagne durant la Movida ou le Portugal après sa révolution des œillets, une période faste de développement économique, social et culturel. Pour l'heure, il nous faut maîtriser nos peurs, dépasser les tensions internes qui subsistent au sein de noter société. Il nous faut apprendre à vivre ensemble dans la diversité et exprimer sans violence nos différences à travers les débats. Idem, il nous faut éviter les débats rétrogrades et stériles sur des sujets qu'on croyait avoir dépassés depuis des décennies ! Qui est musulman ? Qui l'est moins ? Quel avenir pour la femme, pour la polygamie et pour le Code du statut personnel (CSP) ?… Pareil pour la fermeture des restaurants pendant Ramadan, l'interdiction des plages, le voile, le niqab… Grâce à notre révolution, nous avancerons certainement dans la lutte pour les droits de l'Homme et des femmes, la justice sociale, les valeurs universelles dignes d'une démocratie du XXIe siècle. Enfin libérés de notre répression politique, économique et culturelle, nous devons rester aujourd'hui vigilants pour que l'on ne nous confisque pas notre révolution, payée au prix du sang des nombreux martyrs. Bref, la Tunisie est en train de prouver au monde entier que son peuple est pleinement digne de l'époque des lumières et de la démocratie.