Par Khaled TEBOURBI Tout le monde a eu connaissance du sondage Isis-Tap, et tout le monde, à vrai dire, se doutait de ses résultats. Sauf sur un point : un Tunisien sur deux juge la situation politique incompréhensible, alors que 72% de nos compatriotes ont l'intention d'aller voter? Que peut signifier ce paradoxe? Moultes choses : - D'abord que les premières élections libres de leur histoire compteraient «pour tout» aux yeux des Tunisiens. Ils y vont même les yeux bandés, rien que pour «marquer le point». L'attitude peut susciter de l'admiration. Songeons néanmoins à ses conséquences. Ces élections vont donner une constitution au pays. Ce sera pour longtemps. Ce ne seront pas des députés auxquels on pourra retirer leurs mandats à la prochaine échéance. Ce sera un texte fondateur qui gouvernera le pays pendant des décennies, et «par dessus les lois». Imaginons que cette constitution ne réponde pas au vœu du peuple, qu'elle ne réponde qu'aux vœux de quelques politiciens avides de pouvoir. Admirable aura peut-être été «l'attitude de principe» des Tunisiens, rien pour autant ne pourrait plus être rattrapé. On aura bombé fièrement le torse, mais au final on se sera fait avoir : on n'aura choisi ni notre constitution, ni nos gouvernants. On nous aura simplement ri au nez. Pris au «piège» des partis Il y a une autre explication, encore plus inquiétante que la première : les 72% d'intention de vote voudraient dire que les Tunisiens seront tombés dans «le piège» tendu par les partis. On ne va s'attarder sur le détail de ce «piège», cela a été maintes fois évoqué, expliqué, démontré, hélas en vain. Rappelons que depuis le début, depuis la Kasbah I et II qui avaient réussi à imposer le choix de la constituante, les partis politiques (les trois à quatre les plus en vue et les plus nantis) gardent étrangement le silence sur le but même des élections, sur la constituante et par-dessus tout sur la constitution. L'idée, bien que tous s'en défendent, était (est toujours) de se faire élire sans s'engager sur quoi que ce soit. Le danger que la constituante débouche sur un système politique ambigu est donc réel, mais voilà que 72% de nos concitoyens affirment (presque) n'en avoir cure. «La stratégie du vide» semble avoir réussi. Les partis politiques voulaient (veulent) des «bulletins passifs», pas des électeurs conscients, vraisemblablement ils seront exaucés. Mais le 23 octobre prochain on nous aura quand même fait «avaler la pilule», on nous aura quand même ri au nez. Tout le mal que l'on se souhaite Il est une hypothèse «surprise» que l'on devrait, malgré tout, envisager. On peut, en effet, prévoir, un retour en boomerang à la face des politiciens. 72% des Tunisiens iraient voter pour leur damer le pion. Le sondage Isis-Tap fait ressortir 20% de partisans d'Ennahdha, et à peine 25% répartis sur les deux à trois autres formations politiques connues. Reste la moitié des électeurs. La majorité silencieuse peut-être, la majorité qui «prépare son coup en silence». Plutôt. Cette hypothèse serait la plus rassurante pour l'avenir politique du pays. Elle exclurait l'abstention tout en sanctionnant les calculs ambitieux et les malveillances politiciennes. Elle mettrait, en fait, de côté les partis qui ont cherché, d'emblée, à tirer profit de la révolution. Ceux qui ont occupé les premières «loges» au prétexte de la défendre et de la protéger. Et qui ne lâcheront prise que lorsque la majorité des Tunisiens leur signifiera par le vote qu'elle n'est pas dupe de leur jeu, qu'elle refuse, purement et simplement, qu'ils lui rient au nez. Ne sourions pas, d'ailleurs, à l'évocation d'une telle hypothèse. Tous les chiffres du sondage tendent à la confirmer. 52% de nos compatriotes jugent la situation politique incompréhensible, 7% seulement font confiance aux partis. Les optimistes n'atteignent pas le tiers, les pessimistes augmentent au fil des jours. Cela peut vouloir dire que l'opinion est morose, déprimée, au bord du relâchement, mais cela peut cacher, aussi, une saine et vive réaction. C'es tout le mal que l'on se souhaite désormais.