Par Taoufik CHARRADI Inspiré du système australien dit «l'acte Torrens», le régime foncier tunisien a été introduit pour la première fois le 1er juillet 1885. Ce système, jugé plus sécurisant, a apporté une garantie et une fiabilité supérieures à tout autre système foncier et présente les avantages juridiques, économiques et sociaux. A la période post-révolution, les exigences du développement économique et social nous imposent l'urgence de promouvoir le système foncier, de résoudre les difficultés auxquelles il se heurte et de relever les défis de l'avenir. Avantages Fondé sur une large publicité, sur une force probante des droits inscrits, ce système offre une confiance, une sécurité et une stabilité foncière qui contribuent efficacement à la création d'une assise juridique solide de la propriété foncière. Ce climat de confiance créé par un système de publicité des droits favorise les investissements, facilite l'accès aux organismes créditeurs, permet l'élaboration des plans de développement et contribue au maintien de la paix sociale. Difficultés Le système foncier, malgré ses avantages, se heurte à des difficultés ayant trait aux aspects juridique, administratif, organisationnel et humain. Sur le plan organisationnel, on constate que les facteurs de retard tiennent en partie à des relations mal établies entre les organismes qui interviennent dans le domaine foncier. Ces problèmes sont aggravés lorsque les unités décentralisées ne le sont pas en même temps, ce qui nécessite la circulation de dossiers entre plusieurs villes et oblige les professionnels du droit foncier à se déplacer, parfois sur de longues distances, pour s'informer sur l'état de leurs dossiers. Sur le plan juridique, l'application du régime successoral conforme à la législation et au droit engendre une augmentation du nombre des héritiers et une aggravation de l'état d'indivision sur le titre foncier. Cela conduit à terme à un morcellement de la propriété et la rend rapidement invendable du fait d'obtenir l'accord de tous les héritiers et des autorisations nécessaires. Le titre foncier ne dispose de tous ses avantages que pendant une courte période d'état de grâce, juste après l'achat par un seul acquéreur. Il existe des difficultés au niveau de la rédaction des actes fonciers qui contiennent encore des anomalies. Sur le plan humain, pour de multiples raisons (inertie, réticence des acquéreurs, ignorance des lois et des procédures en vigueur par les citoyens et faute de moyens), l'actualisation des titres fonciers faisait défaut, ce qui empêche une succession logique de la propriété et ses inscriptions. Sur le plan administratif, la procédure de l'immatriculation foncière nécessite l'intervention de divers organes dans son application. Cette procédure utilise des techniques diverses de publicité (Journal officiel, affichage, convocation, etc.) en vue de sauvegarder les droits des tiers, ce qui laisse penser, à tort, que la procédure de l'immatriculation foncière se caractérise par la lenteur et la complexité alors que ces mesures préventives ne visent qu'à clarifier la situation juridique du foncier et à protéger les droits des citoyens. Toutes ces difficultés nous amènent à penser au problème de la mise à jour du titre foncier et sa conformité avec la réalité. La situation légale d'un titre foncier étant inextricable et diverge rapidement de la situation réelle et conduit à un "gel" de ce titre, c'est-à-dire l'impossibilité définitive de poursuivre sa mise à jour. Réformes Il ne suffit pas de multiplier les moyens par 10 pour faire 10 fois plus vite, mais faut-il introduire des réformes visant à surmonter ces difficultés. Réforme juridique L'évolution et l'adaptation sont deux qualités nécessaires à la loi et à la structuration administrative de l'Etat moderne. Ainsi et malgré les réformes qu'a connues la loi foncière depuis sa promulgation, une réforme globale de cette loi s'avère nécessaire et urgente. Cette réforme doit se baser sur les principes fondamentaux du régime foncier, qui lui confèrent sa force, sa solidité et son opposabilité, tout en simplifiant les délais des procédures d'immatriculation et de la mise à jour et en réduisant les coûts. Réforme organisationnelle La nécessité d'établir les liens de coopération mutuelle entre les différents organismes concernés par le régime foncier s'impose, et ce, dans le but de surmonter les difficultés rencontrées dans ce domaine. L'amélioration des échanges entre les trois organismes chargés de l'immatriculation est un facteur important d'accélération de l'immatriculation et de l'enregistrement des droits réels sans asphyxie des services. Réforme administrative Le changement de statut de la Conservation foncière pourrait éviter une démotivation et une démobilisation du personnel. Ce changement de statut serait ainsi profitable à l'ensemble du système, sachant que la Conservation foncière bénéficie de 1% au moment de l'enregistrement des droits, ce qui la rend largement bénéficiaire. Ce statut pourrait être le passage à un caractère commercial toujours sous tutelle du ministère du domaine dont elle dépend actuellement. L'information de la vulgarisation foncière L'intensification de l'information et de la vulgarisation foncière joue un rôle fondamental en vue de sensibiliser les gens et de les conduire à recourir à l'immatriculation foncière et à l'enregistrement de leurs droits. Elle ne doit pas se contenter d'expliquer le régime foncier mais faire ressortir ses avantages pour les gens concernés et notamment les promoteurs afin qu'ils apprécient ses bienfaits. Nouvelles technologies La modernisation du système foncier passe par son informatisation et sa numérisation. Cela permettra de se mettre au diapason de ces progrès hallucinants et marquera la fin d'un mode de fonctionnement séculaire basé sur la gestion des documents papier permettant d'alléger la charge administrative et d'améliorer le rendement. Ces améliorations ne changent pas fondamentalement le caractère juridique de l'opération de l'immatriculation. Elles permettent d'accélérer sensiblement le rythme de l'immatriculation et la mise à jour des titres fonciers en confirmant le tribunal immobilier dans son rôle d'arbitre central. Pour qu'un système foncier soit complet et fiable, il faut qu'il repose sur des données foncières exactes. C'est dans cette perspective qu'il faut accorder une grande importance au domaine foncier qui nécessite de grandes réformes qui dotent le pays d'une assise foncière complète, fiable et informatisée. Ces réformes exigent la mise en commun de toute l'expertise du domaine. Or les décisions à prendre sont importantes et nécessitent une volonté affirmée de mieux résoudre les problèmes existants.