Enfin un événement cinématographique digne d'une rentrée culturelle. Mafrouza, objet filmique non identifié, sera à partir de ce vendredi dans les rares salles qui restent de la capitale. Durant trois jours, on pourra découvrir cet opus en cinq parties distinctes qui nous raconte, façon documentaire, les rêves et les misères de gens ordinaires d'Egypte. Mafrouza tire son nom d'un quartier informel d'Alexandrie, détruit en 2007 après le tournage des cinq parties du film qui y ont été tournées au fil de plusieurs années. Oh la nuit !, Cœur, Que faire ?, La main du papillon, Paraboles en sont les titres, qu'on peut voir ensemble ( près de 11h45) ou séparément, entre le Mondial, Mad'art, El Hamra, Ibn-Rachiq et le Zéphir, avec en prime une ouverture en grande pompe au Mondial le vendredi en présence de la réalisatrice Emanuelle Démoris. Mafrouza est un film en 5 parties tourné au fil de deux années passées à Mafrouza, bidonville d'Alexandrie construit sur le site d'une nécropole gréco-romaine. Partant des premières rencontres avec ses habitants, Mafrouza raconte les destins de quelques personnes qui se répondent en une chronique polyphonique. Si la vie est dure à Mafrouza, tous résistent avec grâce et force. Adel et Ghada, jeune couple à la recherche du bonheur, Mohamed Khattab, épicier-cheikh humaniste, Hassan, voyou-chanteur épris de liberté, Abu Hosny, vieux solitaire au logement inondé, la paysanne Om Bassiouni et son four à pain, les Chenabou, famille de chiffonniers, Gihad, jeune lutteuse, tous incarnent et racontent cette résistance qui est la leur et qui fait de leur quartier un espace de liberté et de vitalité. Mafrouza prend le temps de rentrer dans ce monde pour en saisir les complexités, mais aussi pour raconter à travers ces histoires la rencontre entre ces personnes de Mafrouza et celle qui vient les filmer. Car cette expérience de rencontre pose des questions de cinéma et interroge le regard que nous portons sur l'autre. Et si Mafrouza donne l'occasion de battre en brèche les idées reçues sur les pauvres, l'Orient ou l'Islam, il questionne ainsi aussi en miroir notre façon de regarder et de vivre ici et ailleurs. Ce film déroutant — rien que par sa forme — était bien reçu par la critique lors de sa sortie en France: Le Monde écrit alors : «[Le film dure] douze heures ? On les voit à peine passer. Un documentaire ? Plutôt une extraordinaire expérience cinématographique. (...) Un film-monde, un film-monstre, un film-choc, comme on n'en a quasiment jamais vu». Les Inrockuptibles le qualifie d'«Intimiste et sociétal, poétique et politique, brut de brut et romanesque, concret et symbolique, comique et tragique, rude et sensuel, embrassant le global et le particulier, la maison et le monde, l'injustice sociale et l'énergie de vivre, ode à l'esprit de résistance, "Mafrouza" est un film juste indispensable.» Libération l'a vu : «(...) Ces cinq épisodes fondent une geste documentaire inouïe et magnifique, quelque part entre Dans la chambre de Vanda, du Portugais Pedro Costa, et les neuf heures d'A l'ouest des rails, du Chinois Wang Bing. (...) Ces douze heures dans les sillons du dénuement, cette nécropole peuplée de grands vivants, ont une valeur politique inestimable». Quant à Positif, il écrit «ce film reste monumental, comme un unique tombeau d'un bidonville rasé en 2007». Mafrouza est sur nos écrans, à consommer sans modération.