Par Mohamed Mondher ABDELKAFI* Ils sont quelques-uns à estimer que suite aux élections de l'Assemblée constituante, les membres nouvellement élus, seuls membres légitimes selon eux, nommeront un nouveau gouvernement et un nouveau président de la République. Présenté ainsi, cet avis paraît pertinent et logique. Il est en fait surtout séduisant du fait de sa simplicité, mais présente l'inconvénient de ne tenir compte ni de la légalité, ni de la réalité tunisienne actuelle et encore moins des objectifs de la révolution. Mais les adeptes de cette analyse ont tout simplement omis de se poser les bonnes questions, à savoir: - Quelle est la mission de l'Assemblée constituante telle qu'elle a été définie par le décret-loi relatif aux élections du 23 octobre ? - L'Assemblée constituante a-t-elle pour mission de gouverner et/ou de pousser le gouvernement et/ou le président de la République à la démission et d'en nommer d'autres? - Ne doit-elle pas plutôt répondre à l'urgence de doter le pays d'une nouvelle Constitution afin de combler le vide juridique actuel ? Et les réponses à ces questions sont tout simplement inscrites aux pages 651-661 du N°33 du Journal officiel de la République Tunisienne. En effet, l'élection du 23 octobre n'est légale que du fait du décret-loi signé par le président Foued Mebazaâ et la légitimité qu'auront les futurs élus se limitera à la mission de la Constituante telle qu'elle est définie par le décret-loi qui légalise ladite élection. Or cette mission telle que définie par le décret-loi 2011-35 du 10 mai 2011, relatif à l'élection d'une Assemblée nationale constituante "est d'élaborer une nouvelle Constitution pour le pays". Le décret-loi sus-cité est clair et n'autorise nullement les futurs élus à démettre ni le gouvernement, ni le président de la République, ni d'en nommer d'autres. D'ailleurs, ce décret ne pouvait qu'être en accord avec l'un des principaux objectifs de la révolution qui est de ne plus permettre, à l'instar de la Constitution précédente, que tous les pouvoirs soient réunis entre les mains d'une même personne et ou d'un groupe de personnes faisant partie d'un même parti politique ou d'une coalition de partis. Et nous ne pouvons accepter le risque d'instauration d'une nouvelle dictature, au nom de la légitimité électorale. Depuis le 14 janvier 2011, nul ne peut plus ignorer que le peuple s'est révolté contre une dictature et que plus de deux cents personnes ont sacrifié leur vie pour combattre tout risque qu'un dictateur prenne le pouvoir et s'impose au mépris de la loi. Le peuple veut instaurer une légitimité fondée sur la démocratie, le pluralisme, l'existence d'une opposition légale et active capable de faire respecter la dignité, la liberté, l'égalité et l'alternance pacifique. Or le premier inconvénient des propositions qui veulent que les membres de la Constituante pourraient nommer un président de la République, et un gouvernement, est justement de nous faire tomber de nouveau dans l'écueil de voir l'ensemble des pouvoirs: exécutif, législatif, judiciaire, et toutes les nominations entre les mains d'une même personne ou d'un même parti et/ou d'un groupe coalisé. D'où le risque de retomber dans le même piège qui a permis la dictature précédente, tout en nous assurant que c'est ce que nous avons de mieux à faire. Nul n'ignore que pour l'élection pour la Constituante, le peuple va devoir élire des femmes et/ou des hommes qui étaient, pour la quasi-totalité d'entre eux, il y a à peine quelques mois, d'illustres inconnus. Mieux, ils le demeurent jusqu'à ce jour et nous n'avons encore, à moins de quarante cinq jours des élections, aucune idée sur le programme des partis pour la Constituante, quel type de régime vont-ils proposer ? Quelle est leur position vis-à-vis des libertés individuelles, des droits de la femme, de la séparation politique / religion ? Quelle alliance vont-il accepter suite à l'élection du 23 octobre ? Ces alliances vont tenir compte des intérêts du peuple, du pays et des affinités sociopolitiques ou vont se faire contre nature en ne tenant compte que de l'avidité de gouverner ? Comment allons-nous faire la part des choses, parmi plus de cent partis et plusieurs dizaines de listes indépendantes ? Quelle sera l'attitude des futurs élus, suite à l'élection ? Ceci d'autant que leur seule qualité reconnue est qu'ils n'ont aucune expérience en tant qu'élus et certains d'entres eux n'ont pas hésité à faire preuve — à l'occasion de leur passage au sein de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution — , de leur méconnaissance voire leur mépris et refus de l'exercice de la démocratie : je veux parler des partis qui ont essayé d'imposer leurs points de vue tout en menaçant de quitter l'instance chaque fois que la majorité n'était pas en accord avec leur approche. Faut-il rappeler que l'ensemble des partis reconnus et légalisés par le ministère de l'Intérieur se sont engagés à respecter la pluralité et les scrutins majoritaires. Malgré cet engagement, et l'engagement de contribuer à la réalisation des objectifs de la révolution et en particulier le respect de la démocratie, certains n'ont pas hésité à refuser, au sein de la Haute Instance, le mode de scrutin majoritaire et ils ont ainsi renié leurs engagements et agi de la sorte alors qu'ils ne pouvaient se prévaloir d'aucune légitimité. Alors, qui pourra nous dire ce que sera leur attitude suite aux élections ? Ces partis méritent-ils d'être reconnus et de participer à l'élection alors qu'ils ne respectent pas leurs engagements et qu'ils sont d'ores et déjà responsables de parjure ? Et on nous demande de leur faire confiance, sur la seule base qu'ils se sont constitués en partis politiques autoproclamés et/ou du fait de leurs futures promesses!! Aussi faut-il rappeler que le gouvernement actuel et le président de la République sont légaux et légitimes puisqu'ils ont permis, depuis plus de neuf mois, la pérennité de l'Etat et la souveraineté nationale. Il faut peut-être rappeler que le président Mebazaâ a été porte à la présidence le 15 janvier en vertu de l'article 57 de la Constitution du 1er juin 1959. Et qu'il détient sa légalité actuelle en vertu du pouvoir qui lui a été conféré par le vote des deux chambres. Les députés et sénateurs ont en effet, avant la dissolution des chambres, transmis au président Mebazaâ, le pouvoir de diriger le pays par décret-loi et ceci jusqu'à la prochaine élection présidentielle. C'est en vertu de ce pouvoir que le président a chargé M. Béji Caïd Essebsi de former un gouvernement et c'est aussi en vertu du même pouvoir que le président Mebazaâ, a signé le décret-loi relatif aux prochaines élections. Le 23 octobre, le peuple tunisien aura le devoir de nommer des membres qui auront la charge de préparer une nouvelle Constitution et qui auront à réfléchir et décider du type de pouvoir de gouvernance. Une mission de première importance et très urgente. Elle conditionne l'avenir du pays. Les futurs élus auront à débattre de chacun des nombreux articles de la nouvelle Constitution et proposeront le futur régime de gouvernance du pays : parlementaire, présidentiel ou un mixage plus ou moins savant des deux systèmes. Il s'agit là du vrai mandat de la Constituante. Ce travail constitue la première urgence, il devra aboutir le plus tôt possible et permettra de doter le pays d'une nouvelle Constitution qui est essentielle pour combler le vide juridique actuel, améliorer la stabilité du pays, permettre le redémarrage de l'économie nationale, le retour des investissements étrangers, la reprise du tourisme et par voie de conséquence la création d'emplois et la diminution du chômage. Au terme de ce travail, et une fois la nouvelle Constitution promulguée, de nouvelles élections présidentielle et/ou législatives seront organisées. Entre-temps, le président intérimaire continuera à diriger le pays par décrets-lois comme le stipule l'article 8 du décret-loi n°14 du 23 mars 2011, relatif à la réorganisation provisoire de l'autorité publique qui insiste sur le fait que jusqu'à la prise de fonction de l'Assemblée constituante, le président a l'obligation de présider aux destinées du pays et ne l'oblige nullement de partir et ou de démissionner par la suite.