Soupçons de manipulation de l'orientation universitaire : le service des crimes informatiques chargé de l'enquête    Sofiane Tekaya : les revenus du tourisme couvrent 84% de la dette extérieurs de la Tunisie    Production de clinker suspendue : les difficultés s'accumulent pour Les Ciments de Bizerte    Microcred SA opère une baisse historique de 8 points sur ses taux d'intérêt et lance plus de 50 nouvelles offres de crédit    À quelques jours de l'ultimatum, Trump déploie ses sous-marins et envoie son émissaire à Moscou    La souffrance du peuple serbe pendant l'opération « Oluja » (« Tempête »)    Ahmed Jaouadi champion du monde à nouveau à Singapour dans la catégorie 1500 m NL (vidéo)    Météo en Tunisie : Mer agitée, légère baisse des températures    Omra : hausse des frais de 10% pour la saison 2025/2026    Les « guerriers » du parlement    Images d'enfants dans les festivals : Moncef Ben Abdallah rappelle le cadre légal    La Nuit des Chefs au Festival Carthage 2025 : la magie de la musique classique a fait vibrer les cœurs    JCC 2025 : hommage posthume à l'artiste libanais Ziad Rahbani    Houssem Ben Azouz : des indicateurs positifs pour le tourisme    Attention aux vents et à la mer houleuse ce lundi en Tunisie    Le porte-parole du parquet du Kef fait le point sur l'enquête des orientations universitaires    Bizerte : une femme enceinte et un homme meurent noyés sur une plage non surveillée    Interdiction de baignade imposée face à une mer agitée aujourd'hui    Mohsen Ben Sassi : les soldes ont perdu tout leur goût    Séisme de magnitude 5,1 au large des îles Salomon    À Oudhna : Walid Tounsi signe son retour sur scène lors de la première édition du Festival International des Arts Populaires    Chokri Khatoui dénonce l'arbitrage après la défaite du stade tunisien en Supercoupe    Supercoupe : Maher Kanzari salue un titre mérité malgré des lacunes à corriger    Robyn Bennett enflamme Hammamet dans une soirée entre jazz, soul et humanité    Chantal Goya enchante Carthage avec son univers féerique    Supercoupe de Tunisie – EST-ST (1-0) : Le métier des «Sang et Or»    Ahmed Jaouadi, Abir Moussi, Brahim Boudebala…Les 5 infos du week-end    Ahmed Jaouadi, nouveau visage du prestige tunisien dans les bassins    Guerre Israël-Iran : Téhéran officialise un organe central de défense    Fatma Mseddi veut encadrer le fonctionnement des boîtes de nuit    Moez Echargui remporte le tournoi de Porto    Fierté tunisienne : Jaouadi champion du monde !    Que reste-t-il de Zarzis, perle du sud ? Le ministère s'alarme et agit    Russie : séisme, alerte au tsunami et réveil volcanique !    Tunindex : +2,23 % en juillet, les performances boursières se confirment    Tourisme saharien en Tunisie : Bayach bientôt dans le circuit ?    Au Tribunal administratif de Tunis    Trump renvoie la cheffe de l'agence de statistiques après de mauvais chiffres de l'emploi    Festivals : le SNJT dénonce la présence de faux journalistes et appelle à un encadrement strict    Tribunal de Siliana : les agents de polices ne sont pas autorisés à fouiller les téléphones des suspects    Najet Brahmi - La loi n°2025/14 portant réforme de quelques articles du code pénal: Jeu et enjeux?    Il y a 38 ans, le 2 août 1987, des bombes dans les hôtels de Sousse et Monastir    Lotfi Bouchnak au festival Hammamet : Tarab et musique populaire avec l'icône de la musique arabe    LG s'engage pour une chaîne d'approvisionnement automobile plus durable et conforme aux normes environnementales    Ces réfugiés espagnols en Tunisie très peu connus    « Transculturalisme et francophonie » de Hédi Bouraoui : la quintessence d'une vie    Le Quai d'Orsay parle enfin de «terrorisme israélien»    Mohammed VI appelle à un dialogue franc avec l'Algérie    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Dionysos, ou l'ivresse sacrée
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 07 - 10 - 2011

Dionysos est un tard venu parmi les habitants du mont de l'Olympe… Et ses mœurs ne sont guère celles des autres divinités grecques, quelque fantasques que ces dernières puissent être parfois… On sait que ce lieu résonne parfois du bruit de querelles épiques, et que rien de ce qui est humain n'y est tout à fait étranger, si ce n'est la mort. Oui, de ce qui parvient à l'oreille des poètes à propos de la vie des Immortels, il y a parfois d'incroyables histoires d'amour cachées et de jalousie, des coups tordus même et des vengeances tant et plus, qui prennent souvent une tournure loufoque. Héphaïstos, le dieu des forges, en sait quelque chose, par exemple, et à ses dépens… C'est que l'Olympe est un endroit où il se passe des choses et le rire, dont on dit qu'il est le propre de l'homme, n'y est pas du tout absent. Mais avec Dionysos, c'est différent : ce dieu a quelque chose d'étrange, de marginal, dirait-on. Et pourtant, sa place dans le panthéon grec, elle, n'a rien de marginal. Pour le comprendre, il faut considérer un moment ce que l'Olympe représente, par-delà cet aspect léger auquel nous venons de faire allusion.
Avec Zeus à sa tête, l'Olympe symbolise le triomphe des dieux sur les Titans, tel que Hésiode nous en fait le récit dans sa Théogonie, et tel que ce récit continue d'être rapporté après lui par maints poètes et aèdes chantant à travers les cités de la Grèce. Or, les Titans représentent les puissances nocturnes du chaos. Ils sont les incarnations du gouffre sans fond auquel le cosmos, dans son harmonie céleste, va s'arracher au prix d'une haute lutte. Les dieux, avant de constituer des êtres auxquels on présente offrandes et sacrifices dans les temples aux majestueuses colonnes sont, malgré leurs mœurs qui surprennent, ces puissances valeureuses et audacieuses grâce auxquelles le monde sort de la domination du désordre initial, pour qu'advienne par lui et en lui cette chose étrange qu'on appelle beauté.
La beauté advient dans le monde au terme et en couronnement de cette lutte incertaine entre des forces primordiales, lorsque les puissances brutes et brutales de l'informe, jaillies de l'abîme, sont vaincues par les puissances de l'harmonie cosmique dont l'arme propre est la ruse, la patience, mais aussi l'action intrépide et foudroyante, dont Zeus est l'incarnation. Elle advient et, dès lors, le monde lui-même est traversé de cette beauté qui devient la norme subtile dont dépend son essence.
Mais la victoire elle-même se doit d'être conforme aux exigences du beau, éloignée de toute barbarie. C'est, à vrai dire, le grand péril de toute victoire, d'être entraînée dans les excès de son propre triomphe et de retomber ainsi dans une figure qui relève déjà de la laideur.
Le «génie» des habitants de l'Olympe, pour conjurer la laideur qui ouvre secrètement la porte aux puissances de l'abîme, a été de prendre les devants en faisant une place parmi eux à un dieu qui porte en lui le désordre cosmique, la folie du monde pour ainsi dire. Par ce geste, ils font acte d'ouverture envers tout ce qui est étrange… Par ce geste, ils confèrent aussi à la beauté une dimension de profondeur et d'ivresse.
La beauté se fane, en effet, lorsqu'elle rejette loin d'elle ce qui est difforme, ce qui contrevient à ses normes: elle meurt de son « clacissisme » ! Elle vit au contraire lorsque, par un mouvement de retour vers ce dont elle a émergé, elle s'ouvre à lui dans un geste magnanime : non pas certes pour le laisser la contaminer, mais pour l'apprivoiser et pour le transpercer de son charme.
Dionysos est au cœur de ce paradoxe, qui est lui-même au cœur de toute civilisation : l'ordre bascule dans le désordre lorsqu'il cherche à bannir le désordre. Il triomphe au contraire et rayonne lorsque, en son sein, et à partir d'une libre et généreuse initiative, il fait une place au désordre, mais sans jamais céder à son ordre: ce qui s'appelle le tolérer sans s'y soumettre.
La présence de Dionysos dans l'Olympe, parmi les dieux plus «normaux», est donc le gage que les dieux se prémunissent contre la barbarie d'un ordre cosmique qui deviendrait tyrannique, n'admettant rien en lui qui ne soit conforme à sa norme. Mais cela n'a pas grand-chose à voir avec ce qu'on pourrait appeler une morale de l'acceptation de l'autre dans sa différence.
Dionysos est le dieu de l'ivresse. C'est comme cela qu'il se fera connaître plus tard, surtout lorsqu'il sera adopté par la religion romaine sous le nom de Bacchus. Mais, à vrai dire, l'ivresse dont il est question n'est pas exactement celle des buveurs de vin, comme on le pense habituellement. Elle est ivresse de l'abîme, pour commencer : ce lieu qui est sans forme, qui n'offre aucune prise à la pensée, où tout est indistinct, le même et l'autre se confondant dans un espace sans limites, mais dont la profondeur séduit en vertu d'une obscure nostalgie… Toutefois, elle est aussi, et dans le même temps, ivresse de savoir qu'on échappe à la destruction de cet abîme et, surtout, qu'on en est victorieux par la grâce des dieux… Deux ivresses opposées en quelque sorte ! Mais deux ivresses qui n'en font qu'une, car elles se nourrissent l'une de l'autre. Deux ivresses qui font elles-mêmes la nature hybride de Dionysos : par son père, un dieu immortel parmi les Immortels et, par sa mère, la mortelle Sémélé, un être de souffrance, mêlé à la nature, à la terre et à son énergie sauvage. D'où le tigre, qui est son emblème et sur lequel on le représente le chevauchant.
Si Dionysos est donc le dieu qui est le garant de la tolérance – tolérance à l'égard de l'étrange et de l'étranger aussi – il s'agit d'une tolérance périlleuse, au sens positif du terme : elle place au bord du gouffre, ouvre l'abîme, laisse sa puissance sauvage traverser l'âme au point de menacer de la faire basculer. Elle fait cela mais, dans un mouvement qui répète la lutte inaugurale entre les Titans et les dieux, elle restitue l'acte de triomphe dans sa virginité première, cette victoire par quoi advient la beauté dans le monde et par quoi le monde devient de ce fait objet d'un amour infini… Naissance du monde, beauté du monde !
C'est dans cette tension extrême entre l'imminence du péril face à l'abîme et la conscience exaltée et triomphante de la victoire sur l'abîme qu'advient donc cette ivresse dionysiaque : une ivresse sacrée, qui est la réponse grecque à la mort, avant d'être une quelconque façon de noyer sa conscience dans l'oubli ou de retrouver sa bonne humeur par-delà les soucis.
Car cette ivresse sacrée, offerte aux hommes par Dionysos, comme le feu l'a été par Prométhée, est ce par quoi l'homme a part à la vie des dieux… et se donne le moyen de leur subtiliser leur immortalité, sans qu'ils n'y trouvent d'ailleurs rien à redire. Mais… chut ! La beauté, dont nous avons l'amour en partage, n'aime pas qu'on le crie sur les toits !


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.