« J'ai rencontré quelqu'un, je l'ai aimé, mais il était malade », s'exprimait une voix triste sur les ondes d'une radio. « Il avait besoin d'un rein, je lui ai donné le mien, malgré le refus de ma famille. Quelque temps après le succès de son opération, il m'a quittée, me disant qu'il avait besoin d'une femme en bonne santé afin de construire une famille avec elle ». Témoignage émouvant qui pourrait servir de leçon à beaucoup d'autres, bien qu'il ne puisse restituer à la jeune femme son rein ni sa santé. C'est peut-être pour attirer l'attention d'autrui sur les conséquences négatives d'un don de soi sans limites. Elle avait peut-être aussi juste besoin de s'exprimer, « de vider son sac » sans forcément penser à qui cela profiterait. Seulement, cette histoire racontée à servi à quelqu'un. La fiancée du jeune homme, ayant appris la vérité sur le comportement lâche de son fiancé, l'a à son tour quitté… Mais, ces émissions devenues courantes sur les chaînes télés et les radios appelant les gens à témoigner de leur expérience pourraient-elles vraiment changer les choses vers le mieux ? Apprend-on vraiment des histoires des autres ? Les gens témoignant ont-ils besoin de crier haut et fort leur douleur ou alors c'est simplement de l'exhibitionnisme ? L'authenticité de l'être humain Tout humain est différent des autres. De ce fait, aucune histoire ne ressemble à une autre et dans le même cheminement, on connaît plusieurs issues. Une générosité peut mener une personne à être une victime, tout comme elle peut faire d'une autre un être encore plus aimé. Une déception peut détruire une personne, et rendre une autre plus forte. Un faux pas peut ramener celui qui a glissé vers le droit chemin, tout comme il peut condamner un autre à s'enfoncer d'avantage… Ainsi, on a beau raconter des témoignages, cela peut susciter des émotions, solliciter la pitié ou la compassion, nous pousser à faire attention pour ne pas tomber dans la même situation, seulement il ne faut jamais oublier qu'on n'est pas à la place de celui ou celle ayant vécu « le drame raconté ». Crier sa douleur Il arrive parfois que la douleur soit tellement grande qu'on a besoin que tout le monde sache que l'on souffre. Une émission peut remplacer dans un certain contexte la thérapie de groupe dont le principe est de faire partager son expérience. Or dans une émission pareille, les autres ne souffrent pas forcément du même problème comme c'est le cas d'une thérapie de groupe. On a besoin que tout le monde compatisse, certes, mais au fond à quoi cela mènera-t-il ? On recherche également parfois un appui, une solution, un soutien de ceux qui nous écoutent. Ces gens là peuvent compatir certes, et parfois aider concrètement, mais ils restent étrangers à la personne souffrante qui devrait peut-être rechercher la force et puiser dans ses ressources et dans son proche entourage. Ces histoires racontées, réveillent aussi parfois la part d'humanisme qui sommeille en nous. Elles peuvent relativiser notre vision de nos propres problèmes. Nous ouvrir les yeux sur le fait qu'il existe des gens qui souffrent plus que nous. Durant l'émission, il arrive aussi souvent qu'on se projette dans celui qui raconte, on y verse des larmes, mais ces larmes ont généralement une cause dans notre subconscient, qui nous touche personnellement. Ces larmes peuvent libérer celui qui raconte et celui qui écoute puisqu'elles les décharge d'une tension psychologique, même si elles n'offrent pas de solutions concrètes. Entre expression et exhibitionnisme S'exprimer est tout à fait légitime, néanmoins, cela peut parfois tourner au show. Pis encore et dans une société arabo-musulmane il nous arrive d'entendre des histoires « venues d'ailleurs », qui ne peuvent ni s'appliquer aux valeurs de ceux qui l'écoutent ni représenter le bon exemple aux jeunes générations. Ainsi, on entend parfois l'histoire d'une fille de 15 ans ayant fui avec son amant et comment leur histoire d'amour à la Romeo et Juliette attend la bénédiction des deux familles. On entend aussi les histoires d'enfants abandonnés et des familles déchirées. On lave son linge sale en public, on implique des personnes qui n'ont parfois aucune envie d'apparaître ou d'être citées dans ces émissions. Hajer AJROUDI ---------------------------------- Témoignages Mohamed Ali, 32 ans : « Aussi touchantes que peuvent être leurs histoires, ils doivent trouver des solutions et non pas solliciter la pitié sur les chaînes télé » « Cela me fait pitié quand je regarde ce genre de programme, je me rends compte à quel point il y a des gens qui souffrent. Parfois, je me dis : ce n'est pas vrai, ils mentent, ils veulent juste faire l'intéressant et passer à la télé, mais en général, les entendre me fait mal. Il y a vraiment des gens qui souffrent sur terre et cela fait qu'on relativise ses propres souffrances. On a beau compatir avec ces personnes, je me mets toujours en tête que seuls ceux qui vivent la situation en connaissent toute la douleur. D'un autre côté, rien n'est parfait dans ce monde et chacun a ses propres problèmes. On n'est jamais satisfait de ce que l'on a. Il existe même des personnes ne manquant de rien et qui souffrent… En regardant parfois des drames défiler on constate la différence et il ne nous reste que de remercier Dieu de ce qu'il nous accorde. Pour certains problèmes, il n'y a jamais de solution, à moins d'un miracle divin. Et les gens croient que leurs malheurs vont disparaître comme par miracle rien qu'en priant Dieu, mais notre créateur nous a ordonnés de bouger, de chercher solution, même si elle n'est pas définitive, et l'être humain peut dépasser ses problèmes s'il en a la volonté. Alors il est parfois pathétique de voir des gens pleurnicher sur les écrans. Personnellement, aussi touchantes que puissent être leurs histoires, ces gens doivent trouver des solutions et non pas solliciter la pitié à la télé ou à la radio. Ces gens là doivent savoir que personne ne leur offrira une solution tant qu'ils ne l'ont pas cherchée eux-mêmes. Il faut qu'ils bougent et défoncent les portes fermées pour avancer dans la vie et non pas rester immobiles à raconter leur drame. Pour finir, il ne faut pas oublier que dans la vie il y a tellement de belles choses qu'il eserait mieux de ne pas continuer de faire une fixation sur ce qui ne va pas. De toutes les façons, la vie continue bon gré, mal gré.» Propos recueillis par H.A ---------------------------------- L'avis du Psychiatre Dr. Khalil Ben Farhat « parler de soi permet de verbaliser une douleur, mais comporte une part d'exhibitionnisme » Dans une émission de ce genre, il y a deux acteurs. Celui qui parle qui souvent exprime une douleur et chercher conseil. Cela le soulage de sa douleur, même si cela comporte une part d'exhibitionnisme car apparaître sur un écran ou se faire entendre par la masse chatouille l'orgueil. De l'autre côté, il y a ceux qui écoutent. Certains d'entre eux aiment le faire car ils s'identifient dans ces histoires ou alors entendent leur douleur s'exprimer de la bouche d'une autre personne. Les problèmes humains sont souvent similaires, même s'ils sont vécus autrement d'une personne à une autre et que les détails sont différents. D'autres personnes parmi l'auditoire cherche le « show », ils ont une curiosité souvent malsaine que le spectacle des drames satisfait, c'est du voyeurisme. Revenons aux gens qui s'expriment via ces programmes, ce sont des gens qui, outre la vraie douleur qu'ils peuvent ressentir, manquent de maturité et sont un peu de « maso ». Ils sont immatures car les personnes qui s' assurent et s'assument n'ont pas le besoin de voir les autres s'apitoyer sur eux et sauront chercher solution à leur problème. Or ces gens qui témoignent aiment voir que les gens ont de la pitié pour eux. Ils sont maso car au lieu de se remettre en question, ils rejettent la faute sur autrui et du coup la refont, se retrouvant dans le cercle de la même erreur répétée. Le problème raconté et vécu contient souvent un autre problème sous-jacent s'il est mal géré, sinon il ne se répéterait pas. Ce n'est tout de même pas un hasard que ces programmes trouvent audition. Un élément essentiel a donné naissance à cela ; la structure familiale a perdu son tissu initial. Avant, on avait la grande famille, aujourd'hui on a des micros familles. On essaye alors de reconstituer une famille fictive en s'appuyant sur les milliers de téléspectateurs écoutant ou regardant l'émission. Mais la question qui se pose alors est : est-ce que le problème est résolu ? …