Par Mouldi FEHRI Face aux difficultés précédemment énumérées et au doute qui entoure les étapes à venir, il convient de souligner avec beaucoup de satisfaction l'accord tacite auquel sont parvenus, dès le début, les principaux acteurs de la vie politique et sociale de la Tunisie postrévolutionnaire, concernant le recours systématique et constant à la recherche du consensus politique pour toutes les décisions engageant l'avenir du pays. C'est cet engagement moral qui a permis (et permet encore) la continuité de la gestion des affaires publiques et un fonctionnement relativement normal de l'Etat, surtout après la dissolution de l'ancien Parlement et la suspension de la Constitution de 1959. C'est également sur cette base qu'une organisation provisoire des pouvoirs publics a pu voir le jour, avec un président de la République provisoire, un gouvernement de transition et en particulier une structure originale, à savoir la « Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » qui regroupe un grand nombre de partis politiques et de représentants de la société civile et des régions. En l'espace de quelques mois et malgré beaucoup d'obstacles, cette instance a réussi, sur la base du consensus (et parfois d'une large majorité), à produire un bon nombre de textes législatifs adoptés et promulgués sous forme de décrets-lois, parmi lesquels le «Code électoral réglementant les élections à l'Assemblée constituante » et la mise en place de l'« Instance supérieure indépendante pour l'organisation et la supervision des élections ». 1) L'Assemblée constituante: un choix risqué, mais efficace Sur le plan institutionnel, tout reste à faire (ou à refaire), puisque les Tunisiens ont choisi la solution la plus difficile, mais certainement la plus efficace pour rompre avec le passé, en optant pour l'élection d'une Assemblée constituante chargée essentiellement de doter le pays d'une nouvelle Constitution et donc de nouvelles institutions et règles de vie en commun. Cette solution est effectivement loin d'être simple, puisqu'elle a posé dès le départ (et pose encore) des problèmes importants entre les différents acteurs politiques, concernant la durée du mandat de cette Assemblée et le contenu réel de ses prérogatives. La crainte est ici de voir cette Assemblée élue, donc tirant sa légitimité du peuple et n'ayant aucun contre- pouvoir, s'installer dans la durée (certains parlent de 3 ou 4 ans, voire plus) et de fait comme de droit concentrer entre ses mains tous les pouvoirs et par conséquent la possibilité de façonner l'avenir du pays en fonction des choix de la majorité qui va se dégager en son sein. Sans compter avec les risques possibles de dissensions internes, dues au jeu des alliances et donc d'une instabilité des pouvoirs et du pays. Pour parer à toutes ces éventualités, il conviendrait de déterminer, tout de suite, par un nouveau décret-loi (et il n'est jamais trop tard pour bien faire), les prérogatives et la durée du mandat de cette Assemblée. Elle pourrait ainsi disposer d'une durée de douze mois au maximum et avoir pour mission de : – Choisir (parmi ses membres ou en dehors) les instances provisoires de l'exécutif avec : - Un président de la République qui nommera un Premier ministre (éventuellement, issu de la majorité qui se dégagera au sein de l'Assemblée constituante). - Ce Premier ministre proposera à l'approbation de l'Assemblée constituante un gouvernement provisoire formé de préférence de technocrates, chargé d'assurer la continuité de la gestion de l'Etat et de traiter les dossiers les plus urgents (ex : chômage, situation des familles marginalisées et celles des martyrs...), mais aussi de préparer les prochaines échéances électorales, dès que possible et sur la base des règles définies par la nouvelle Constitution. La durée de son mandat sera la même que celle de l'Assemblée constituante et prendra fin au plus tard à la mise en place du 1er gouvernement formé sur la base des nouvelles règles constitutionnelles. – Déterminer la feuille de route de ce gouvernement provisoire et assurer le suivi et le contrôle de son action. – Rédiger la nouvelle Constitution, dans un délai maximum de 6 mois et la proposer à un référendum populaire pour adoption (N.B : en cas de rejet, elle aura ainsi le temps de revoir sa copie) – Préparer, avec ce gouvernement provisoire, les nouvelles échéances électorales, notamment les présidentielles et les législatives. Enfin, pour ne pas devenir source de problèmes, cette Assemblée doit se tenir à ces règles de durée et de prérogatives, pour laisser la place, au terme de son mandat (au maximum 12 mois), aux nouvelles instances législatives et gouvernementales qui seront élues, cette fois au suffrage universel direct, sur la base des règles qu'elle aura, d'ailleurs, elle-même définies dans la nouvelle Constitution. Nous serons, alors, dans une situation normale et les pouvoirs publics auront acquis un caractère légitime. Toute autre hypothèse serait une porte ouverte sur l'inconnu et une aventure dont personne ne pourra envisager la fin et où tout sera possible, à commencer par une période d'instabilité et donc de paralysie totale du pays. 2) Les élections du 23 octobre 2011 : une grande inconnue La mise en place de l'Assemblée constituante offre aux Tunisiens la possibilité de connaitre par la même occasion leurs premières élections libres, pluralistes et démocratiques. Ce qui est en soi un événement inédit dans tout le monde arabe. Mais, pour préparer et organiser ses élections, la Tunisie ne dispose que de quelques mois et malgré beaucoup de courage et d'abnégation, la tâche semble difficile et compliquée. La plupart des Tunisiens attendent, ainsi, avec impatience et fierté le jour où, enfin, ils vont pouvoir exercer, au moins une fois dans leur vie, ce droit de vote dont ils ont toujours été privés. Mais, beaucoup d'indices montrent qu'ils n'ont pas tous la même perception de ces élections, à tel point que certains d'entre eux pensent encore qu'il s'agit d'élire un nouveau président de la République ; et ce malgré les efforts d'explication déployés par l'Isie depuis plusieurs semaines. Cette confusion, tout-à-fait prévisible et à la limite compréhensible (voire normale), vient en fait d'un manque de formation et de culture politiques évident entretenu par l'ancien régime, dans un pays où les élections ont toujours été une mascarade et où le peuple n'avait qu'un rôle de simple spectateur, habitué à ce qu'on décide à sa place et dont on attend toujours une adhésion supposée indéfectible.