Par Foued ALLANI Sous les projecteurs, même en rendant l'âme. Mouammar Kadhafi n'a ainsi pas dérogé à sa propre règle, ni failli d'ailleurs à sa raison d'être, attirer l'attention, faire l'intéressant, s'offrir en spectacle. Même si, dans ce dernier cas, le dernier, il n'a pas choisi de le faire. Mort, le chef de la révolution. Celle du 1er-Septembre, la grande. Celle de la grande Jamahirya libyenne qui a construit en plein désert un nouveau Nil, le Grand fleuve artificiel. Mort jeudi (khamis, du nom de l'un de ses fils), des mains des révolutionnaires, ceux qu'il traitait de rats, par ces mêmes armes que, lui, avait achetées à prix fort. Dernière ironie du sort, sans doute, pour celui qui collectionnait les contradictions, les volte-faces, les coups de théâtre. Il est parti à jamais tout près de l'endroit où il a vu le jour, au milieu d'une forêt de canons, donnant ainsi un sens à son slogan «les armes pour le peuple», lui qui dès son coup d'Etat du 1er septembre 1969 n'a pas cessé d'amasser les armes en tous genres. Il est mort Kadhafi, après avoir tué, ou participé à le faire, des milliers d'être humains chez lui bien sûr, mais ailleurs aussi, lui qui prêchait un nouveau destin pour l'humanité grâce à sa 3e théorie mondiale expliquée à coups de sentences et d'axiomes dans son fameux Livre Vert (Al kitabou'l Akhdhar). Un destin rayonnant pour un monde où les problèmes disparaîtront à jamais. Il a tiré sa révérence, le colonel. Surpris par «les rats» près d'un trou, lui qui n'avait pas tari d'éloges sur la méthode de la «surprise» dans la guerre. «(…) Tu dois t'attendre à une surprise partout sur le territoire», avait-il fait remarquer dans son livre sur la conduite des combats (Nouvelles opinions sur la conduite, la mobilisation et les méthodes de guerre — en arabe — p. 128 Tripoli. 4e édi. 1981). Il a quitté ce monde, le guide, sans quitter son pays, la terre de ses ancêtres mais après avoir quitté sa tente pour des souterrains, comme Saddam, son cauchemar. Il avait peur, le guide, de finir comme lui. Et dès décembre 2003, il se débarrassait de tout ce qui pourrait lui attirer les foudres de l'Occident. Bienvenue à l'Oncle Sam après trois bonnes décennies de «Toz'f'Amrica» (Au diable l'Amérique - Les Etats-Unis. Voir nos articles in: La Presse des 14 et 17 juin 2011). «Frère guide, pourquoi sacrifier ainsi nos armes si précieuses ?», lui disaient ses concitoyens. «Oh, rien de sorcier, comme je suis asthmatique je dois faire attention à mes poumons car je ne dois pas vivre dans un souterrain», une blague qui circulait chez lui à cette époque-là. «C'est l'instinct de survie et la peur de devoir un jour se terrer dans un trou, d'être capturé puis traduit en justice comme Saddam qui expliquent ses concessions», avait souligné en 2005 Salem Qannan, chef du Front national pour le salut de la Libye basé à Londres. Quand le guide conduit sa première et unique révolution Il a cessé d'exister celui qui collectionnait les titres et… les contradictions. Et ses ordres ont été exécutés dans les détails. N'avait-il pas martelé «En avant ! En avant ! En avant !… Révolution ! Révolution ! Révolution !» dans un discours étrange juste après le début du soulèvement le 17 février dernier. Eh bien, les révolutionnaires l'avaient écouté et lui ont obéi. Ainsi avaient-ils avancé sans hésitation et conduit leur révolution sans coup férir. Quelques jours auparavant, le guide annonçait le 14 février qu'il réitérait son intention de participer à une manifestation populaire appelant à la chute du gouvernement. Révolutionnaire jusqu'à la moelle des os, le guide, lui qui avait promis le 3 janvier dernier lors d'un discours incendiaire à Sabha de rester fidèle à sa flamme révolutionnaire, de rester le premier contestataire du pays, sa conscience, son âme et veiller à la concrétisation de l'un des plus grands slogans du Livre Vert : «Le pouvoir, la richesse et les armes aux mains du peuple». Visionnaire, l'auteur de la 3e théorie mondiale, frère guide, dépositaire du nationalisme arabe, le roi des rois traditionnels d'Afrique, le Georges Washington des futurs Etats-Unis d'Afrique. Le 1er sportif, le cavalier des cavaliers, le romancier, le Don Quichotte des temps modernes, l'Arlequin à la garde-robe exubérante, le tribun, le stratège, le bâtisseur… La royauté ? «(…) Une étape mesquine que l'humanité a dépassée. La raison tourne en dérision, aujourd'hui, n'importe quel roi qui porte une couronne ressemblant ainsi à Boussaâdiya et à Tarzan devenant ainsi la risée de tous», avait dit notre roi des rois, avant qu'il n'emboîte le pas à ce clown de Bokassa qui se fit empereur de la Centrafrique et qu'il avait tant aidé (voir : «Ainsi parlait Kadhafi à Tunis» -1982 p. 104 en arabe). N'avait-il pas des airs de Boussaâdiya et de Tarzan, notre cher roi des rois traditionnels d'Afrique avec ses accoutrements rutilants d'or et ses couronnes incrustées de pierres précieuses, oui le guide voulait choquer, séduire, impressionner. Et il en était malade. Avec sa tente qu'il trimbalait partout, ses amazones pour gardes du corps, ses envolées lyriques, ses idées originales à contre-courant, son désir insatiable de conclure des unions, ses fameux calembours du genre : «Shakespeare, c'est en fait Cheikh Zoubeïr ou démocratie c'est «deymouma» (pérennité) «al karaçi» (les fauteils, pouvoir). Le colonel-guide roi des rois était aussi l'inventeur en chef du pays. N'avait-il pas dès 1999 donné à son pays sa première voiture nationale selon la conception du guide lui-même ? La «Rocket Jamahiriya» ou la flèche de la Jamahiriya (une seconde version verra le jour en 2009, toujours sous forme de prototype). Il ne s'était donc pas contenté d'inventer la «Jamahiriya» (République des masses) alors que son pays ne comptait pas plus de trois millions d'âmes à cette époque-là (1977), un système politique atypique qui n'avait aucun pouvoir, car le vrai pouvoir, il le détenait lui. Un autre titre pour colonel, «prestidigitateur en chef». Des équipes entières se frottent déjà les mains à la perspective d'étudier le cas Kadhafi. Sociologues, politologues, anthropologues, juristes, psychologues, psychiatres et même astrologues ont du pain sur la planche. Quarante-deux bonnes années à tirer les ficelles du jeu, à zigzaguer (rien à voir avec zanga zanga), à louvoyer, à parrainer une fois des mouvements armés, à les balancer à Washington, l'autre. 42 ans à jongler, à discourir à faire arracher la peau aux opposants, à gaspiller les pétrodollars à droite et à gauche, à se faire soigner par des infirmières blondes, à pratiquer du racolage en vue d'un titre, une médaille, un livre élogieux, à envoyer des hommes de main régler sa facture à tel ou tel dirigeant ou pays… ça use, ça use. Le chef de la révolution qui n'était en fait que le chef d'un groupe de putschistes a obtenu, enfin, ce qu'il voulait, une vraie révolution.