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Faire face au « serpent de l'éternité »
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 10 - 2011

«Le temps des jeunes gens est une mèche toujours retombant dans les yeux
Et ce qu'il en reste aux vieillards est trop lourd et trop court que pour eux le vent change»
(L. Aragon, épilogue «Les poètes»)
Par Salah HADJI
Ces interminables files, venues de toutes parts pour se rassembler en maints lieux et un jour de première épreuve électorale dans l'histoire du pays, le monde entier les a vues, debout, tous âges confondus et chacun de son côté, s'apprêter à plier en un instant tant d'années de tyrannie à mille pattes. Vers un tel geste, il y a si longtemps que tout un peuple avait marché ensemble, avec ses martyrs et ses blessés, sous le silence de plomb d'au moins quatre décennies.
Le champ de ce passé est assez vaste, et les paroles qui l'ont ponctué sont tellement ensanglantées pour que toute mémoire d'homme se doive de maintenir le cap sur le futur, l'esprit éveillé, la conscience aiguë.
«Songez à tous ceux qui mirent leurs doigts vivants leurs mains de chair dans l'engrenage
Pour que cela change et songez à ceux qui ne discutaient même pas leur cage
Est-ce qu'on peut avoir le droit au désespoir, le droit de s'arrêter un moment».
(L. Aragon, Ibid)
S'il est une chose qui explique cette obligation d'éveil à toute épreuve et à tout âge, c'est la tendance qu'ont ceux qui se mettent à table, autour d'un festin d'un jour, à s'endormir le nez dans le plat. Les signes qui alternent éveil et sommeil, montée et déclin, l'histoire est toujours là pour en donner le flair à toute personne avertie. Telle est la prévention : elle ne procède point de la peur des fantômes, mais de la crainte des obstacles réels et, partant, de la nécessité impérieuse d'y faire face… lucidement, courageusement.
Un homme qui pense ces signes fait attention, non à une condition mais à deux. La première est de savoir que l'histoire n'échappe pas aux lois générales de l'univers. C'est Einstein qui nous l'apprend. L'histoire est comme le serpent de l'éternité : si certains veulent la traiter avec complaisance, qu'ils apprennent que le rayon décoché en avant reviendrait au regard par derrière comme le serpent qui se mord la queue. La deuxième est que c'est seulement en nous maintenant éveillés constamment et à toute épreuve que nous pourrons faire face à tout retour en arrière. Aussi reconnaissons-nous, sous cette double condition, l'oscillation des signes de l'histoire comme disposition à aller davantage dans un sens ou dans l'autre (R. Rolland, Le voyage intérieur).
Il faut bien le dire au plus pressé, sans pour autant se jeter sur l'avenir comme un affamé : comment ne pas reconnaître déjà dans le présent lui-même ce qui tient lieu de grand témoignage de cette oscillation ?
1- Au vu de ce tableau contradictoire, soulignons en premier lieu ce que nous héritons d'une période de parti unique, de répression, de corruption et de servage des décennies durant, période qui grève aujourd'hui dangereusement la dynamique de relève politique, économique et sociale du pays. Une telle situation est on ne peut plus grosse de séquelles et lourde de conséquences et pour le présent immédiat et pour le futur proche : dégradation de l'esprit du citoyen, concurremment avec la fracturation du tissu social national, anémie des canaux de communication horizontale et verticale entre les unités et niveaux de fonctionnement normal de la société (meubles d'une même famille, rapports entre citoyens, localités, régions, secteurs, institutions…), dispersion et, partant, déperditions des énergies en raison du manque de participation des citoyens et des collectivités locales à la gestion de la chose publique, atrophie des forces productives (force de travail, moyens de production, investissements) du fait de la main basse qui surplombe les richesses du pays et les secteurs clés de l'économie.
2- Derrière ce profond délabrement de la société, générateur d'émiettement des consciences, il y a eu, de toute évidence, ce pragmatisme des moyens dans la gestion de la chose publique, cette décadence des fins dans la pratique politique. Le bout ayant fonctionné à l'individualisme arrogant, au corporatisme étriqué et au régionalisme chauvin. Toute la société tendait à s'amenuiser, telle une peau de chagrin, pour se réduire lamentablement à quelques «lieux» d'intérêts immédiats dont les acteurs débridés s'appellent : privilège, corruption, parti-Etat mafieux, vassalité, informalité, dédoublement «sémantique» de la citoyenneté et du droit du plus fort. Toute cette vague de moyens obliques au service des confusions les plus dévoyées avait fini par imposer l'image d'une «société» gouvernée autrement que par des fins humaines, autrement que par des solidarités sociales ou les fibres d'un éthos communautaire.
3- A un pareil état caractéristique d'une société en mal d'une véritable «resocialisation» se greffent les effets pervers d'un pouvoir despotique et mafieux, avec leurs incidences profondes sur les partis politiques, — y compris ceux dits jadis de l'opposition et qui, désormais, occupent le devant de la scène dans la frénésie de l'appétit du pouvoir.
Ce qui, singulièrement, mérite d'être souligné à ce sujet, c'est que contrairement à ce qu'avait soutenu une figure de proue du PSD (en l'occurrence M. Mohamed Sayeh entre 1983-1984), ce n'est pas le bourguibisme qui a hérité de Bourguiba, mais ce sont plutôt des «petits» Bourguiba qui n'ont retenu de l'histoire patriotique de Bourguiba que l'image d'une sénilité agrippée au statut de «président à vie». Celui qui, le premier dans l'ordre chronologique, à avoir hérité de cette image fut, de fait, un despote d'autant plus abject qu'il s'est révélé un grand ignorant et de la politique et de la chose humaine.
Mais à y regarder à même le présent immédiat, n'assistons-nous pas sur l'échiquier des partis politiques à ce phénomène inflationniste d'une «petitesse» qui réduit bassement et étroitement le politique à l'exercice individuel du pouvoir sur fond névrotique dont le seul «complexe» quasi oedipien est la possession du statut nominal de président, en lien formel d'être au-dessus du peuple en lien morbide de la «mort» du père.
Pour servir un tel dessein aussi «sombre» que macabre, on a vu autant de «petits» n'hésiter devant aucun moyen louche ou pour le moins douteux : argent sale, alliances sordides, mensonges gros comme une corde, discours à mille pattes, coups bas, mélanges de résine et de miel, pratiques parasitiques de toutes couleurs, pêche en eaux stagnantes appâtant, à coup d'argent et de belles promesses et sur fond de précarité sociale et d'absence de perspectives d'avenir, masses irréfléchies et milieux déshérités fragilisés à l'extrême.
4) Dans une société où la recherche de l'identité nationale se fait dans la dérive d'une permanence malade et d'une transition fragile, au point d'en dire qu'elle «vit sa mort et meurt sa vie» (Héraclite), le rapport aux exigences historiques de renouveau national comme dialectique du particulier et de l'universel est dominé, moins par un processus intégrateur que par démultiplication de vies locales sans rapports de réciprocité. Tel est le cas d'une identité éclatée aussitôt récomposée, où germent les éléments parasitaires du rétrograde qu'exploitent et alimentent les forces les plus occultes. A vouloir identifier un pareil état, on ne peut qu'être dérouté par une unité à composantes multiples et tout autant gélatineuses : narcissisme, préjugés, agressivité vis-à-vis de l'autre, déchéances larvées… — autant de feux d'artifice qui balayent son ciel et qui fonctionnent comme autant de distorsions et d'ambivalences.
Nous ne pouvons nier les causes historiques auxquelles ces phénomènes sont structurellement liés : l'une au blocage des initiatives de renouveau national à la suite de l'intégration des sociétés dites «en voie de développement» dans le système mondial du capitalisme; l'autre à un urbanisation accélérée sans rapport économique adéquat engendrant un nouveau bloc social intermédiaire (Imre Marton, Le devenir historique de l'identité nationale).
5) Faute d'un tel bloc, c'est tout un secteur informel qui y a pris place. La notion de «secteur informel», ignorée chez nous, jusqu'à présent, est apparue pourtant depuis 1972 en rapport avec les études portant sur les faillites des politiques de développement entreprises dans les pays d'Amérique latine. Enfermé au début dans le champ économique de l'emploi, le problème de l'informalité a pu englober par la suite des réalités plus larges, telles que les paiements d'impôts, la tenue d'une comptabilité transparente et systématique, la sous-traitance, le respect du droit… Plus fondamentalement encore, c'est dans le rapport à l'Etat que l'informel fonctionne : la question de l'informalité se ramenant à l'angle de sa ressource, de son entretien et de son utilisation, à savoir l'angle politique (B. Lautier, l'Etat et l'informel).
Le non-respect de la loi juridique (de l'Etat) est un mode de fonctionnement inhérent aux sociétés dites «en développement» et qui caractérise aussi bien les grandes entreprises que les petites, l'administration étatique que la contrebande, les partis politiques de l'argent que leur rôle dans les fraudes électorales. Et pareil fonctionnement en milieux malsains des appareils de l'Etat vaut pour le salarié payé au Smig et qui exerce une activité complémentaire non déclarée que pour un pouvoir local dont les comptes parfaitement ficelés se doublent d'un arsenal de mécanismes, corruptifs qui vont jusqu'à l'achat en sous-main de toute une épreuve électorale.
6) Un tel rapport sous lequel se nichent des formes de connivence entre pouvoir politique et corruption ne saurait être réduit à un quelconque défaut de Constitution. En effet, poser le problème en termes de Constitution (comme c'est le cas aujourd'hui), c'est opérer une «abstraction» juridique qui scrute tous les problèmes de la société en évacuant l'imbrication de l'économique, du social et de la gouvernance. Et c'est bien cette imbrication qui conduit sous l'effet de l'illusion du juridisme, à interpréter la question de la citoyenneté dans les pays où se pose la question de la démocratisation politique moins comme instauration d'une égalité des citoyens entre eux et face à l'Etat que légitimation des expressions brutales des rapports de force où se structurent les marchés frauduleux et les allégeances politiques. La représentativité de la décision politique n'est-elle pas souvent préparée à partir de critères d'appartenance régionaliste, voire locale d'une hybridité qui fonctionne au «sauve qui peut» sur fond de détresse matérielle et morale et d'affinités instrumentalisées pour être maintenues au plus bas niveau de la conscience?
Mais ce n'est là qu'un présent dont l'intervalle est appelé nécessairement à se renouveler et s'enrichi de l'éclosion d'un monde futur dont la parole encore imparfaitement formulée a déjà frémi comme un germe en son sein. La puissance de la révolution n'est-elle pas justement ce qui porte ses lignes d'ouverture à regarder toujours au-delà des barrières? Mais la parole non encore parfaitement formulée ne devrait-elle pas «trouver des formes d'expression qui se situent aux limites, aux confins, aux frontières de la phisolophie et de la littérature, du concret et de l'abstrait, de la parole et du chant»? (Imre Marton, Ibid).


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