Comme son nom l'indique, la troupe de la Ville de Tunis est la troupe de la Ville de Tunis. Elle est sous la tutelle de la municipalité, son existence en dépend. La qualité des productions doit dépendre, en partie, de la créativité des membres de la troupe et, en grande partie, des moyens mis à sa disposition et du degré de flexibilité de l'administration. Donc, si la TVT régresse à qui doit –on jeter la pierre ? Nous les avons tant aimés ces acteurs foldingues dans les comédies et bouleversants dans les drames. Mais où sont passés leurs beaux costumes et accessoires de valeur? Que reste-t-il de l'âge d'or de la TVT à part quelques photos souvenirs en noir et blanc et des portraits accrochés sur les murs du Théâtre Municipal ? De Mohamed Aziz Agrebi à Zaki Touleimat, en passant par Hassen Zmerli et Ali Ben Ayed, la troupe créée officiellement par arrêté municipal, le 25 janvier 1955, a mis en scène mille et un scénarios du monde : «Le commerçant de Venise», «Jules César», «L'aigle de Koreich», «Abderrahmène Ennacer», «Les mains sales», «Oedipe roi», «Antigone», «Le fou de Leïla», «Kahéna», «Ahl El Kahf», «Ziyadet Allah l'aghlabide», «El Moez Lidine Allah As-Sanhaji», «Wallada et Ibn Zeidoun», «Othello», «Hamlet», «Caligula», «L'école des femmes», «L'avare», « Flaminius», « El Bourak», «Mourad III», «Cages et prisons», «La révolution de l'homme à l'âne», «Hallaj», «Le jeu du karakouz», «Huit femmes», «Mémoires d'un fou», «Les rêves de Carthage», «La révolution de 1864», «Houbekk Darbani», «Atchan ya Sabaya»,et l'on oublie des titres... Son succès le plus récent était la reprise du «Maréchal » en 2005, avec dans le rôle principal feu Soufiane Echâari. Du temps de Ben Ayed qui a dirigé la troupe de 1963 à 1972, la TVT comptait une trentaine de comédiens. Depuis, beaucoup ont décédé, certains sont à la retraite, et d'autres ont été nommés à la direction d'espaces culturels. Il ne reste plus que cinq comédiens permanents. Qu'est-ce qui a fait le vide et pourquoi ? Abdelaziz El Meherzi (acteur, metteur en scène retraité de la TVT) se le demande. Bien qu'il ait quelques réponses, il ne peut s'empêcher de se poser des tas de questions sur le statut de la troupe qui n'a pas été révisé depuis 1983, sur la grille des salaires qui n'a pas évolué depuis les années 60 et sur le patrimoine de la troupe, oublié dans un dépôt de la rue El Benna. Où sont passés les salons Voltaire, Louis 15 et 14 ? Les tapis de Ben Ghorbel et les armes d'Ayoub l'antiquaire? «Je crains qu'ils n'aient disparu à jamais comme la galerie Yahia et les acquis de la municipalité en matière d'arts plastiques», ajoute-t-il. Qui doit-on accuser d'avoir rompu avec le passé pour tuer l'avenir ? On le sait déjà. Ce pays ne sait pas honorer son histoire et ses hommes. Il n'a fait que les utiliser à des fins politiques. Le devoir de mémoire n'est plus qu'un slogan de propagande. Aujourd'hui, le pays prend un nouveau tournant. Et pour ne pas tomber dans un grand fossé, il est urgent de garder le cordon ombilical intact. Et demain, que sera la TVT ? En posant la question «et demain que sera la TVT?» à Mona Noureddine, directrice de la troupe depuis 2002, un ange est passé. Les yeux de la célèbre comédienne sont partis dans les souvenirs du bon vieux temps. Elle a intégré la troupe à l'âge de 15 ans. Elle se rappelle tous les personnages qu'elle a campés. Tous les costumes qu'elle a portés. Jusqu'à s'oublier. Car c'est sur scène, comme toute comédienne, que Mona s'oublie et oublie ses peines. Ce rôle de directrice n'a pas l'air de la satisfaire. Elle le dit : «La scène me manque ». Mais elle ne lâchera pas la troupe. Pas maintenant. D'ailleurs elle est sur une nouvelle création intitulée « Mosaïque » texte et mise en scène de Zouheir Erraiess. Pour quitter ce poste de responsabilité, elle attendra de remettre la clé de son bureau dans de bonnes mains. Elle souhaiterait voir un de ces jeunes à la tête de la troupe. Un jeune dynamique, passionné et créatif. « Il faut injecter du sang neuf à la TVT, renforcer l'effectif avec de jeunes ressortissants du théâtre » Mais pour cela, avoue Mona, il faudra que, dans ce domaine, les anciens et les nouveaux apprennent à s'accepter. Son regard redevient vague. Une image du passé lui revient. Elle est plus jeune, et la TVT est en pleine préparation d'Othello. Saadia, car en vérité elle s'appelle ainsi, est impressionnée par les tissus importés de Londres et la scénographie réalisée par l'Algérien Abdelkader Farah. Elle voit Cassio et Roderigo s'exercer avec le maître d'armes, le célèbre acteur égyptien Jamil Rateb, dans le rôle d'Othello et Teya Rassi, comédienne libanaise, dans celui de Desdemona. La TVT était ouverte à toutes les compétences. Elle rêvait grand et le budget le lui permettait. Dans les années 70 et du temps de Ali Ben Ayed, le budget consacré à la création était de 70 mille dinars. Plus de quarante ans après, il a été revu à la baisse. Il en est à 40 mille dinars seulement. C'est fou, dans ce pays on n'avance même pas à reculons ! Actuellement, sans l'aide du ministère de la Culture, la TVT ne peut pas boucler son budget de création. Au lieu de réviser la grille des salaires, on paye les comédiens sur le compte de l'association culturelle de la ville de Tunis. Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? Pourquoi ne pas décider de dissoudre carrément la TVT, comme ce fut le cas il y a quelques années de détruire la bonbonnière qu'est le Théâtre Municipal ? Nous voyons venir les prédateurs qui voudraient transformer le petit théâtre de poche de la troupe, sis à la rue de Grèce, en salle de mariages ou de réunions de partis. Il faut préserver la TVT et penser à son avenir. Dans un environnement meilleur, cette troupe aurait eu un espace plus convenable, dans un quartier moins dangereux la nuit. Ses pièces auraient été tout le temps à l'affiche, ses comédiens plus nombreux, et sa direction plus indépendante de l'administration de tutelle. On ne fait pas de l'art à coups de bons de commande pour un trombone et un stylo comme pour un costume d'Othello !